Les habitants de l’Île-Bouchard, petite commune du sud de l’Indre-et-Loire, ont découvert le 13 janvier dernier en lisant la Nouvelle République un projet dont ils n’avaient eu vent : la construction, chez eux, sur des terrains achetés par des catholiques en lien avec la Communauté de l’Emmanuel, de 17 maisons constituant le Clos Saint-Gabriel. Objectif de ce projet : « créer des lotissements à proximité de lieux de culte – de véritables oasis pour familles chrétiennes pour allier vie spirituelle et vie à la campagne », l’arrivée des premiers habitants étant prévue pour 2024. Sur sa lancée, l’agence souhaite ouvrir cent « sphères » chrétiennes, sises ici ou ailleurs, d’ici dix ans. Ainsi, le Clos Saint-Gabriel serait un prototype !

Voilà un projet communautariste de la plus belle eau… catholique, puisque la Communauté de l’Emmanuel est l’une de ces communautés dites « charismatiques » ayant l’aval de l’Eglise catholique. Ce caractère communautariste est nié par l’un des initiateurs de l’agence : « On est ouvert à tous. On ne va pas demander aux gens s’ils se signent à la messe le dimanche pour acheter une maison ! »

Depuis bientôt 25 ans qu’est présente la Communauté de l’Emmanuel, des habitants de l’Île-Bouchard (commune où la Vierge serait apparue à des enfants en 1947…) se voient contraints de renoncer à acheter, par exemple, un logement plus vaste puisqu’ils ont constaté une augmentation des prix de l’immobilier. On peut trouver des rues proches de l’église où toutes les maisons ont été achetées par des sympathisants ou membres de l’Emmanuel. Les processions hors-les-murs du lieu vénéré en irritent plus d’un. Cette religiosité ambiante nous semble typique d’un christianisme obsolète !

Sans doute n’est-il pas inopportun de rappeler que la communauté de l’Emmanuel dispose d’un compte en Suisse… ou qu’elle a reçu des financements de l’Etat pour avoir installé un chantier d’insertion.

Manifestement, le respect, voire la connaissance, de la laïcité ne doit pas être la tasse de thé de ce groupe de « citoyens ».

Quelques précisions

Les promoteurs de cette initiative, venus du christianisme le plus conservateur et, il faut le rappeler, du monde des affaires, veulent protéger le caractère catholique traditionnel (ou supposé tel, au sens le plus rétrograde) de la société française. Le Salon beige, organisation catholique très à droite, est fort inquiet de constater l’effondrement de la pratique religieuse en France, et voit dans ce genre d’opération une chance de recréer des communautés catholiques homogènes et indépendantes du monde environnant. Il s’agit bien là de provoquer une coupure avec la citoyenneté républicaine en établissant un fonctionnement social relativement affranchi de la loi pour tous.

Rappelons que tout le système clérical catholique de France est légalement aux ordres d’une autorité étrangère, le Saint-Siège, qui nomme les évêques dont dépend toute l’institution, et qu’il n’a toujours pas admis qu’une organisation religieuse ne peut pas établir des règles qui l’emporteraient sur la loi de la République. Les suites du rapport de la CIASE ont mis en évidence ces manquements.

Que dirait-on si un village « musulman » se créait quelque part en France ? Un « village » par essence catholique n’a pas plus de raison d’exister. On y voit la nostalgie d’une France du passé qui devait allégeance, roi y compris, à l’autorité religieuse. Cette France a cru parfois ressurgir du passé chez les maurassiens et les anti-dreyfusards, à l’époque de la Collaboration, dans les rangs d’Ordre nouveau, et aujourd’hui autour d’Eric Zemmour. Il est à noter que certains des soutiens de Monasphère apparaissent fugitivement dans son entourage.

Le goût du « sacré », les apparitions miraculeuses, les messes en latin, les adorations du Saint-Sacrement sont parmi les thèmes de choix de l’actuel bulletin paroissial de L’Île-Bouchard. Cette paroisse appelle de ses vœux la création d’une communauté typique de la « cancel culture », pour retourner vers un christianisme ritualiste aujourd’hui totalement dépassé qui, au fond, ne s’intéresse guère au message fraternel de l’Evangile. Cette fraternité évangélique est totalement compatible avec la laïcité et promeut avec conviction le « vivre ensemble ». Le Salon beige considère, lui, son communautarisme comme une dernière chance de créer une pratique conforme à ses désirs, avant, éventuellement, de quitter ce « pays maudit ».

Créer des « îlots » qui s’affranchiraient de l’universalisme républicain paraît, quoi qu’il en soit, légalement inacceptable dans notre pays. 

Le 15 janvier 2022

Pour le bureau du CEDEC,

Monique Cabotte-Carillon, présidente du CEDEC

Didier Vanhoutte, président fondateur du CEDEC