FEDERATION RESEAUX DU PARVIS

Lettre ouverte au Pape François

Cher Pape François,

Votre lettre d’appel à la fraternité universelle Fratelli Tutti nous a procuré une grande joie.

C’est une parole que nous attendions depuis longtemps, qui peut être entendue par toutes les personnes de bonne volonté et qui stimule notre désir de tracer en toute occasion le sillon de la fraternité.

Merci en particulier de nous rappeler que « la vie, c’est l’art de la rencontre ». Chrétiens du Parvis, nous faisons nôtre votre « rêve d’inter­convictionnalité » indispensable pour construire avec d’autres la culture de l’entraide humaine. Et nous reprenons à notre compte les paroles de Fratelli Tutti que certains d’entre nous ont déjà partagées avec leurs amis musulmans ou athées : « Rêvons en tant qu’une seule et même humanité, comme des voyageurs partageant la même chair humaine, comme des enfants de cette même terre qui nous abrite tous, chacun avec la richesse de sa foi ou de ses convictions, chacun avec sa propre voix, tous frères »… et sœurs !

Dans Fratelli Tutti, votre analyse de la société actuelle ouvre des pistes de réflexion et de vrais chemins pour tous les êtres qui s’efforcent de vivre dans une attitude d’écoute et de respect des autres. Vous­même avez relayé le cri des peuples amérindiens et des pauvres laissés sur le bord de la route par la société mondialisée et le néo­libéralisme. Vous avez plaidé pour la paix, la justice sociale, la reconnaissance des couples de même sexe, la préservation de la planète et des valeurs humanistes. Nous soutenons ces actions ainsi que vos efforts, avec intégrité et humanité, pour assainir notre propre institution catholique et supprimer les blocages qui rendent parfois son message d’amour inaudible.

Car, comme vous le dites, « tout est lié » et l’Église a besoin de revisiter sa tradition et ses dogmes pour notre temps, de s’inscrire sans peur dans le cadre d’États laïques, qui garantissent la liberté de croyance et l’autonomie des décisions politiques. Il lui faut aussi choisir l’écoute (du peuple, des théologiens) et le dialogue (entre clercs et laïcs, hommes et femmes) déjà entamé dans certains pays comme l’Allemagne.

Réseau d’associations de femmes et d’hommes chrétien­ne­s, nous savons et nous comprenons comment l’androcentrisme s’est installé comme modèle structurant autrefois, pourquoi l’Église à sa naissance a copié le fonctionnement monarchique de l’Empire romain. Mais il est temps d’instaurer sur un mode plus démocratique et fraternel les services et responsabilités nécessaires à son fonctionnement et aux liens entre les communautés, sans caste de prêtres mâles sacralisés, isolés et contraints au célibat (avec les dévoiements que l’on sait), dans l’égalité entre les hommes et les femmes (moitié de l’humanité), en fonction des charismes de chacun et sans pouvoir mondain ni surplombant mais simplement au service de ses frères, abandonnant au passage des termes comme « Saint Père », « Monseigneur », « Saint Siège », au profit de « frère Pape », « frère Évêque » etc.

Car le seul sacré selon Jésus, le seul « temple de Dieu », vous le savez bien, est la personne humaine, toute personne, capable d’Amour, dans la Vie toujours offerte sans jugement, condition ni culpabilisation. Que l’Église cesse donc de se tourner vers le passé avec les mots « péché », « contrition », « faute », « soumission », mais se tourne vers l’avenir avec les mots « fraternité », « partage », « enthousiasme », « joie ».

Et la célébration de l’Eucharistie retrouvera son sens originel de partage du pain comme signe de Dieu parmi nous.

C’est tout le sens de la parabole du Samaritain que vous proposez en phase avec notre actualité, celle d’un étranger qui voit par hasard un blessé, nu au bord de la route, s’approche de lui, le ramasse, le met en sécurité, accepte de perdre du temps et d’investir de l’argent pour lui jusqu’à sa guérison. Dans cette histoire, Jésus parie sur le meilleur de l’humain, et encourage à bâtir une société où chacun, même fragile, souffrant ou malmené, sera respecté ou restauré dans sa dignité inaliénable.

À ce propos, plusieurs d’entre nous, travaillant dans des prisons, vous remercient d’avoir cité le cas de personnes démunies, incarcérées de façon « préventive » abusive, partout dans le monde et même en France (entre 1980 et 2020, selon le Ministère de la Justice, le nombre de personnes écrouées a doublé, de 38 913 à 82 860) où le choix du répressif remplace de plus en plus la vraie prévention, celle qui éduque, accompagne et permet de se reconstruire.

Vous insistez aussi sur la nécessité de l’action individuelle et collective pour accueillir dignement les personnes migrantes. Nous y adhérons pleinement mais, comme tous les citoyens de base, nous avons besoin que nos dirigeants portent non seulement des paroles d’espoir chaleureuses mais aussi un vrai témoignage par des actions concrètes, pour nous encourager à faire advenir une société plus juste. C

Nous demandons donc au Vatican de mettre au service de nos frères non seulement des forces spirituelles mais un pourcentage conséquent de ses ressources financières et immobilières pour prioriser l’accueil, le soutien et la dignité des plus démunis, en particulier des migrants de la guerre et de la faim. Nous pourrons alors nous engager avec nos frères en humanité pour que les « derniers » conquièrent ensemble, par leur conscience, leurs mobilisations sociales et une fraternité concrète, la place reconnue par Jésus comme la leur, la première.

Cher Frère François, merci de nous avoir rappelé nos responsabilités et les vôtres pour créer de nouvelles fraternités moins identitaires, plus ouvertes, afin que tous les humains, reconnus comme frères et sœurs, de même dignité et de même fonction, dans la société laïque et dans les religions, non seulement vivent ensemble mais s’épaulent pour que chacun existe pleinement, devenant créateur­créatrice de vie, de partage, de joie.

Nous vous souhaitons longue vie, santé et endurance.

Que la dynamique de l’esprit d’amour vous apporte courage et paix intérieure pour témoigner de la fraternité avec vos collaborateurs et tous les hommes et les femmes de bonne volonté de tous âges. Nous, chrétiens du Parvis, nous engageons à y contribuer, confiants que les jeunes générations inscriront aussi par leur enthousiasme la fraternité dans l’histoire de la Terre, donnant sens et avenir à notre destin commun.

Tous frères et sœurs ! Fratelli e sorelle tutti !

Les Réseaux du Parvis

Lettre envoyée fin janvier par l’intermédiaire du Nonce Apostolique, en copie à la Conférence des Évêques