Migrer, un espoir – souvent un drame

Chaque année, des millions d’étrangers viennent en France, pour faire du tourisme, pour visiter famille ou amis, pour étudier, travailler. Ils disposent d’un visa à durée limitée. Plaisir du dépaysement, joie de la découverte,  de la rencontre, formation supérieure, implication professionnelle.

Et puis quelques milliers, au profil différent, partent avec le projet de s’établir dans notre pays ou en Europe. Rares sont alors ceux qui peuvent disposer d’un titre de séjour résultant d’un statut reconnu, tel un contrat de travail passé avant le départ. Beaucoup d’entre eux restent après l’expiration de leur visa touristique (3 mois maximum), du moins quand ils ont pu l’obtenir. D’autres arrivent « clandestinement », exploités par des passeurs. D’autres enfin n’arrivent jamais.

Faute de titre de séjour, ils sont durement repoussés par l’Union Européenne. Un bon nombre cherche à traverser la Méditerranée ou à gagner les Canaries (espagnoles) sur de frêles esquifs, dans des conditions déplorables. Certains se noient, ou sont interceptés par les forces de police européenne (Frontex), renvoyés sans ménagement. Depuis 20 ans, les associations de vigilance dénombrent plus de 20 000 migrants ayant péri en mer. Au moins 5 meurent chaque jour à nos frontières (Migreurop – 2012). Un drame silencieux qui n’émeut pas les foules. Parfois une légère émotion quand un groupe meurt asphyxié dans les camions qui transitent de Calais à Douvres ou quand un film secoue les consciences. Mais la routine reprend vite le dessus. C’est pourtant notre politique répressive qui est en cause.

On sait déjà combien les immigrés légaux restent discriminés. Mais la chasse aux migrants en situation irrégulière fait sentir encore beaucoup plus nettement ses manifestations délétères. Ces derniers constituent en effet la cohorte dite des « sans-papiers ». Ils sont estimés à quelques 400 000 sur le territoire français (autour de 0,6% de la population). Leur vulnérabilité est patente à bien des égards.

Les sans-papiers vivent dans la plus grande précarité. Ils sont condamnés à survivre la peur au ventre, dans la crainte d’être arrêtés. C’est ainsi qu’ils se retrouvent souvent enfermés en centre de rétention, y compris parfois des familles avec enfants, contrairement à toutes les dispositions officielles. Ce ne sont pourtant pas des délinquants. Si d’aucuns sont relâchés, quelque 35 000 l’an dernier ont été expulsés. Quant aux « régularisations », elles ne font qu’au compte-gouttes, environ 30 000 par an.

La vie familiale et privée est bafouée. Le regroupement familial, a priori un droit fondamental, est soumis à des conditions bien restrictives et la procédure peut traîner indéfiniment (cf. ci-dessous). Qu’on imagine aussi l’état d’une famille disloquée par l’expulsion d’un de ses membres, généralement le père. Et ne parlons pas des mineurs isolés étrangers (MIE) ; tels les jeunes Afghans qui galèrent dans les rues à Paris.

Le droit du travail est ignoré. La plupart des sans-papiers travaillent. Comment pourraient-ils vivre autrement ? Sans compter qu’ils prélèvent systématiquement sur leurs faibles ressources de quoi renvoyer au pays beaucoup plus de fonds au total que l’aide publique au développement, et sans la moindre déperdition. Ici, ils font tourner des pans entiers de l’économie ; bâtiment, restauration collective, confection, services à la personne, etc. L’effet d’aubaine pour les employeurs est facile à imaginer. Main-d’œuvre précieuse, docile, surexploitée, non déclarée. Le travailleur migrant a énormément de peine à produire un contrat de travail valide pour engager une démarche de régularisation. Le servage existerait-il encore ?

Enfin, un mot de l’asile, qui fait l’objet de la convention de Genève signée en 1951. Elle a tendance à être réduite comme une peau de chagrin. La persécution dans son propre pays n’est-elle pas un drame ? Le statut de réfugié, un principe sacré ? Les conditions mises aujourd’hui à son obtention font qu’à peine 1/6edes demandeurs finissent par obtenir gain de cause : 12 000 personnes l’an dernier sur 60 000. Les 50 000 déboutés restent sur le carreau et connaissent alors le sort des sans-papiers.

Que faire fasse face à ces dénis d’humanité ? Les beaux principes sont sans doute nécessaires, mais manifestement insuffisants. Article 13 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme : « Toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l’intérieur d’un Etat. Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays ». Plus que jamais donc ne pas relâcher la pression. A l’heure de la mondialisation, l’immigration, un espoir, une évidence…mais le tribut à payer est lourd.

En définitive, on ne peut guère compter que sur l’opinion pour faire bouger les lignes politiques. Tel est un rôle majeur que peut jouer la société civile, c’est-à-dire les citoyens solidaires, organisés notamment au sein des associations (voir plus loin). Celles-ci défendent de manière très concrète les migrants ; elles contribuent en même temps largement à l’évolution de la conscience collective. Bref, il n’est pas interdit de penser que des petites minorités agissantes finiront par faire s’écrouler des murailles insupportables, et pourquoi pas plus vite que prévu, pour ouvrir la voie à un autre monde possible, celui de la fraternité. N’est-ce pas entre nos mains ?

Réagir. La solidarité en marche

Nombreuses sont les associations, laïques ou confessionnelles, qui se mobilisent avec les migrants les plus démunis.

Dans les régions du Sud, en particulier au Sahel, au Sénégal, des mouvements locaux s’organisent ; ils épaulent les migrants et leur famille en difficulté, voire les dissuadent de partir, promeuvent un développement endogène, interpellent les gouvernements. Au Mali, l’AME (Association des Maliens Expulsés) intervient auprès de ceux qui rentrent au pays de force, brisés par la honte. On peut évoquer aussi les multiples associations de base, les coopératives ou autres, montées par les gens du pays qui ont décidé de prendre en main leur propre destin (celles sur lesquelles s’appuie spécialement le CCFD-Terre Solidaire). Il y a encore l’action des ONG, des Caritas…

En France, l’implication des citoyens engagés auprès des migrants se traduit de diverses façons : assistance au quotidien, accompagnement dans les démarches administratives, alphabétisation, soutien scolaire, sensibilisation de l’opinion publique, questionnement des élus. Il s’agit certes de commencer par adopter une attitude de transformation personnelle, changer son regard, son comportement, « Soyez le changement que vous voulez voir dans le monde » (Gandhi), mais également, bien sûr, de rejoindre les associations ou actions de mobilisation collective ; par exemple : La Cimade, RESF, le Secours Catholique, le Gisti, Réseau chrétien-immigrés, Les Cercles de silence etc…

Jean-Marie Guion (RCI).