Combattre la pauvreté et la précarité, ECCO du secteur de CAEN

Elles ne cessent de s’aggraver. Toutes les associations de solidarité, engagées dans la lutte contre la pauvreté et l’exclusion, alertent sur la dégradation des conditions de vie due à l’inflation, sur les prix des produits alimentaires qui ont connu une spectaculaire augmentation. Les minima sociaux n’ont évolué que de 1,6 % en 2023 ; cela reste bien inférieur à l’inflation évaluée autour de 5%, mais qui pèse plus de 20 % pour les plus démunis correspondant aux frais d’alimentation, d’énergie et de logement.

Lire la suite du communiqué de ECCO du secteur de CAEN, membres de la fédération du Parvis

Le baromètre de la pauvreté et de la précarité, Secours populaire

L’état de la pauvreté en France, Secours catholique, Caritas




Guerre au Proche-Orient : les mots et l’histoire du conflit

Dans sa conclusion de l’entretien qu’il a eu avec Mediapart, Bertrand Badie a dit

« De par ma bi culturalité, persane et française et pour avoir de par mon métier eu l’occasion de visiter 115 pays et y avoir fait des conférences, cela m’a appris une chose que je voudrais dire de manière très calme et solennelle :

Un humain vaut un autre humain, ça veut dire que la souffrance d’un être humain est égale à la souffrance d’un autre être humain. Ma sympathie d’âme est toute entière avec les martyrs de Sdérot, comme avec les martyrs de Gaza. Je pense que si on veut entrer dans un monde mondialisé, il faut faire de ce principe la base de tout et surtout rompre avec une culture hiérarchique. On gagne la bataille de la mondialisation, si on gagne la bataille de l’humain. Si vous ne partez pas de cette unité de l’humanité, vous tombez, soit dans le délire de la police de pensée, soit dans un racisme structurel. »

Vaste chantier où il y a encore tellement à faire. Pensons aux migrants, à l’homophobie, au racisme, à l’inégalité hommes-femmes que ce soit dans la société ou dans les Eglises, aux conflits ethniques, au choc des civilisations dont les unes se croient supérieures aux autres, aux juifs et aux musulmans, aux chrétiens qu’ils soient catholiques, protestants ou orthodoxes, aux croyants, aux agnostiques ou aux athées, à toutes formes d’esclavage.

Il est possible de voir cet entretien, en accès libre, en cliquant sur le lien suivant




En ce temps marqué par l’inquiétude et par la peur, n’oublions-pas d’aimer la vie…

En ce temps marqué par l’inquiétude et par la peur

N’oublions-pas d’aimer la vie

N’oublions pas l’essentiel

Pour résister aux différentes intimidations.

C’est la vraie réponse

Pour que chacun continue à vivre le quotidien

Dans un bonheur de vivre.

Cette résistance joyeuse

Permettra de tempérer les malheurs du monde

Pour les corriger, les adoucir, les affronter

D’ailleurs la plupart des gens

Ont tendance à réagir de cette façon

Tout en se rassemblant

Afin de dire la détermination

Pour garder nos valeurs

Ainsi nous sommes confortés

Et en lien les uns avec les autres.

Continuons donc à vivre simplement

Dans la liberté d’aller et venir

Pour garder la sérénité du temps présent

Et l’espérance dans l’avenir.

Privilégions “l’éthique de la joie” préconisée par Spinoza

Plutôt que des lamentations.

Il est donc urgent

Et plus que jamais d’aimer la vie

Pour construire un avenir.

Nous ne voulons pas vaincre la haine

Par davantage de haine

Vaincre la violence

Par davantage de violence

Notre réponse à ce monde de violence

S’appelle le lien fraternel, la solidarité…

Ne soyons pas paralysés

Mais continuons à rêver pour créer et pour vivre…

Gardons le désir de la rencontre, de l’amitié

Le goût de rêver ensemble, de cheminer ensemble…




La résistance, la Régulation, l’Utopie

La Résistance, la Régulation et l’Utopie…

Les démocraties et les religions ont en commun de pratiquer ces trois cultures du développement humain que sont la résistance, la régulation et l’utopie. Une juste articulation entre ces trois cultures est une condition de l’action authentique en démocratie ; mais ces trois ingrédients fonctionnent également au sein des spiritualités : toutes invitent à résister à une forme particulière de mal, toutes formulent un ensemble de règles pour contenir ce mal, toutes invitent à un chemin de radicalité pour ceux qui veulent et peuvent.

Nos sociétés sont orphelines de ces trois cultures, différentes mais complémentaires, pourtant bien nécessaires pour répondre aux défis de l’heure : résorber simultanément la dette financière, la dette sociale (celle du chômage) et la dette écologique (à l’égard des générations futures) dans une période de croissance économique faible. Il faut donc à la fois résister à la tentation de résorber une des dettes aux dépens des deux autres, organiser de nouvelles régulations qui assurent à la fois la transition écologique, le droit de chacun(e) à un travail et un revenu, et l’assainissement financier, et enfin, relancer le principe espérance autour d’un vivre ensemble vraiment réussi d’Abondance frugale » ou de « sobriété heureuse ».

Les religions et les spiritualités pourraient constituer un front uni pour faciliter ces transitions vers une société où le lien est aussi important que le bien, l’économie sociale et solidaire au centre et non pas à la marge,  le temps aussi enrichissant que l’argent, la qualité indissociable de la quantité, l’élévation préférée à l’excitation, la justice à la richesse et le durable à l’immédiat. Le feront-elles ? Cela dépendra à la fois de leur lucidité et de leur capacité de coopération.

Un pacte civique pour ouvrir la voie

S’agit-il de changer « dans » le système ou « de » changer de système ? L’important est d’ouvrir une voie, pour reprendre le titre de l’ouvrage d’Edgar Morin. C’est dans cette perspective que, en mai 2011 un ensemble d’associations et de personnalités ont lancé la démarche du Pacte civique, appelant à « penser, agir, vivre autrement en démocratie ». Elle entend rassembler les énergies autour de quatre valeurs incontournables : la créativité au service du sens, la sobriété, pour respecter la nature et redistribuer les richesses, la justice pour que chacun puisse donner le meilleur de lui-même, et la fraternité, pour retrouver le sens du sensible.

A cet effet, elle propose 32 engagements de changement destinés à augmenter la qualité démocratique qui se situent simultanément à trois niveaux qui se conditionnent mutuellement : les personnes, les modes de fonctionnement des grandes organisations, les institutions et les politiques publiques. Il s’agit d’un projet qui assume la complexité, plus moral que spirituel, qui essaie d’organiser la coopération entre acteurs de la société civile, acteurs économiques et sociaux, acteurs politiques et médiatiques. Réussira-t-il, en liaison avec d’autres initiatives proches, dans une société française empêtrée dans ses contradictions ? Cela dépendra de sa capacité spirituelle de reliance et de résilience face à la crise.

Jean-Baptiste de Foucauld

Président de Démocratie et Spiritualité.

(La Revue Janvier-février 2014)




Cheminer avec des enfants rejetés

Cheminer avec les enfants rejetés, promesse d’humanisation réciproque… 

Recueillis dans des Foyers, ils ont les ailes esquintées par tant d’épreuves qu’ils ne peuvent plus s’envoler. Autant perdus à douze ans que peut l’être un nouveau-né, ils doivent grandir en maturité sans être désirés. Un déchirant abandon semble les condamner à l’enfer d’une destinée maudite. Errances et égarement dans les dédales d’un monde qui leur est étranger.

Les yeux livides, l’échine courbée, beaucoup arrivent épuisés, encombrés d’une vie si accablante qu’elle leur paraît désespérément insensée. Boulimiques ou rachitiques, dans un état moral délabré, ils congédient leurs corps impossibles à habiter. Témoins résignés de leur précarité, de tout désir ils sont dépouillés. Même dans leur repli, ils ne trouvent pas la quiétude d’un abri. Ces fils de la misère sont tombés à genoux sous des coups reçus à tort, qui ont rendu vains leurs plus intimes efforts.

D’autres, le menton levé et le verbe acerbe, invectivent avec arrogance et crânerie. Caïds, rappeurs, fascinés par une violence exacerbée, leur différence est consommée. Leur prétendue dangerosité et leur inutilité sociale en font des rebuts de la société, méprisés et considérés comme fautifs de leur malheur. Pourtant leur défiance et leur orgueil en disant long sur les maux causés par leur rejet. Ils récusent le “système” qui les malmène, sans se préoccuper où cela les entraîne. Inscrits dans la délinquance et la drogue, ils s’exposent aux pires peines pour survivre dans leurs quartiers.

Aussi singulier qu’ait été le vécu de chacun, ils ont en commun de n’avoir guère été considérés comme des sujets. Leur avenir confisqué, ils sont livrés à l’arbitraire d’une mort sociale sans pitié. Pour ne pas sombrer dans les abîmes du désespoir, ils adoptent des attitudes empruntées. Mais les uns comme les autres ne sont que des enfants dont la trop précoce adolescence a défait les amarres qui les retenaient à la vie. Tels des suppliciés, torturés par d’irrémédiables carences maternelles, ils sont tiraillés entre attachement fusionnel et bannissement. Ils luttent solitaires et désarmés contre vents et marrées.

Tragique est leur perdition. Et pourtant, subsiste en eux une divine et immuable présence qui les fait espérer en une providentielle étoile. En prenant la peine de se pencher sur leurs juvéniles visages vieillis, on peut encore déceler l’ombre d’un sourire, discerner dans un regard dérobé l’empreinte d’un fragile désir, et percevoir dans le silence de leurs coeurs meurtris d’instantes prières conjurant le sort. Leur espérance en l’amour, même altérée par tant de défections, laisse entendre la mélodie d’une musique mélancolique, celle de l’ineffable tendresse d’une affection originelle.

Sensible à leurs tribulations, la société veut se montrer clémente par acquit de conscience. A l’impérative condition qu’ils se rangent. Pour mériter le respect, qu’ils se transforment en bons citoyens, autonomes, responsables et acteurs de leurs projets. Des injonctions contradictoires les somment de s’intégrer sans que leur soit accordé le minimum leur signifiant qu’ils sont tant soit acceptés. Mission impossible, qui les enferme dans leurs conduites jugées malsaines. Anticipant alors sur fatale condamnation, ils agissent pour qu’elle soit au moins méritée. Ils se construisent une identité à travers une surenchère de provocations qui incite à répliquer au rejet par le rejet, à la haine par la haine.

Cette spirale infernale dans laquelle ils nous attirent trahit leur impuissance à briser notre indifférence, mais leur inévitable mise à l’écart sonne comme un sourd avertissement. Pour écarter la menace de nous trouver marginalisés, nous devenons intolérants à notre tour et dressons des murs qui finissent par nous enfermer. Nous libérer de nous-mêmes en prenant le risque de nous décentrer de notre propre histoire familiale et sociale devient difficile. Le conformisme bien-pensant érige nos différences sociales en radicales et indépassables dissemblances. Justifier cette distance qualitative nous rend impuissants à scier les barreaux de nos prisons intérieures dans lesquelles nous voulons demeurer en sécurité.

Mais il n’y a pas d’issues séparées pour les vauriens et nous, pour les moins-que-rien et les gens de bien. Ce n’est qu’en leur offrant l’hospitalité que nous cesserons de les parquer comme d’inassimilables étrangers, que nous mettrons fin à leur exil et briserons les barrières. En nous rendant vulnérables, nous réalisons à quel point chaque être a ses propres fêlures intérieures. L’absolu respect de leur altérité nous révèle la commune fragilité humaine. Par delà le dilemme de choisir entre leur condition et la nôtre, préférons l’humble chemin ouvert il y a deux mille ans par celui qui a refusé de se joindre aux pharisiens pour jeter la pierre à la femme adultère. Le retour que nous font ces enfants de nos propres faiblesses ouvre sur des rencontres qui nous élèvent.

Apprivoiser ces enfants écorchés vifs, partager un bout de chemin avec eux, permet de voir à quel point nos préjugés nous empêchent de discerner “l’essentiel qui est invisible pour les yeux”. Nous réalisons alors que chacun, dans son être et sa chair, est profondément tissé de relations passées et présentes porteuses d’espérance. La trame de vie de cette jeunesse à fleur de peau apparaît usée jusqu’à la corde, et les fils très fragiles qui la composent finissent par former des noeuds inextricables et des trous béants dans l’étoffe de leur ,existence. Pour panser ces déchirements, filons et brodons de nouveaux liens avec le meilleur de ce qu’ils sont et de ce que nous sommes. La justesse des mots et des gestes partagés substituera des tresses de soie aux couronnes de ronce.

En étant simplement “là”, respectueux de leur temporalité, nous leur apportons cette bienveillante présence humaine qui leur a tant manqué. Progressivement, les paroles qui apaisent et qui soignent émergent et font oeuvre de médiation en nous dépassant. Elles rendent à chaque visage sa beauté singulière et restaurent la joie d’exister. Quand nous relativisons et engageons notre propre existence, nous restituons à ces enfants leur dignité et retrouvons la nôtre. Cette ré-humanisation des relations peut s’appeler soin, sollicitude ou amour, peu importe. Bien que sécularisé, ce qui a été dit de la parole qui était au commencement et qui s’est faite chair pour l’humanité est notre seule richesse pour rendre à chacun son unité, sa part de mystère et de transcendance.

Plutôt que de condamner la modernité en l’accusant de dédaigner les valeurs morales, il nous revient de poursuivre l’inlassable quête éthique de l’humanité en réinventant les médiations symboliques capables de féconder la vie. Côtoyer la misère de ces enfants nous apprend que les luttent sociales sont indispensables pour contester l’injustice de l’ordre dominant, mais nous réalisons en même temps qu’elles ne sont absolument pas suffisantes. La portée subversive du partage avec les exclus n’est pas tant liée à la dénonciation de l’ordre établi qu’à la capacité de transformer cet ordre modestement de l’intérieur, au coeur des relations intersubjectives. Les enfants rejetés sont une partie de nous-mêmes et bien plus que nous-mêmes. Reconnaître et accompagner l’universelle fragilité des hommes libère une créativité capable d’une infinie et puissante tendresse.

Bruno Kohler.

directeur d’un Etablissement Educatif et Pédagogique.

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Etablissements éducatifs et pédagogiques du secteur de la Protection de l’enfance.




L’enfermement carcéral

L’enfermement carcéral aujourd’hui

L‘enfermement fut longtemps le seul moyen utilisé par l’Etat pour punir les délinquants et les soustraire à la population qu’ils risquaient de mettre en danger. Une fois rassurée par la mise hors d’état de nuire des “monstres”, la société ne n’inquiétait guère du devenir de ces gens privés de liberté, et oubliait qu’une fois la peine purgée, ils réintégreraient la vie parmi eux.

Depuis la sortie du livre du médecin Véronique Vasseur Médecin-chef à la prison de la Santé (2000, éd. du Cherche-Midi) dans lequel elle dénonce les manquements d’humanité dans les lieux de détention, l’opinion publique est davantage sensibilisée à ces problèmes et les médias plus diserts ; nous sommes régulièrement informés de la surpopulation dans les prisons qui empire d’année en année et va au-delà de l’admissible : 117,3% d’occupation au dernier recensement (avril 2012). Ce taux varie beaucoup d’un centre à l’autre : moins de 100% pour certains, plus de 200% pour d’autres.

Il est peut-être utile de rappeler que les maisons de rétention (ou maisons d’arrêt) accueillent les présumés coupables en attente de jugement quand la justice les considère comme dangereux pour la société (il n’est pas rare que leur jugement les reconnaisse innocents et qu’ils aient purgé une peine parfois de plusieurs années sans être sans être coupables !).

On y trouve aussi des condamnés à de courtes peines quand la prison ne peut les accueillir. Les prisons, elles, accueillent les condamnés qui se trouvent en principe seuls dans la cellule, plus rarement à 2 ou 3.

Le recours trop systématique à la détention provisoire pour les prévenus et à l’emprisonnement pour les condamnés, ainsi que l’allongement de la durée des peines sont les principales de cette surpopulation dans les prisons. En outre, de plus en plus de personnes en détention ne devraient pas s’y trouver (malades mentaux, étrangers en situation irrégulière). Par ailleurs, l’augmentation de certaines formes nouvelles de délinquance (trafic de drogue, délinquance sexuelle, délinquance juvénile, violences urbaines) favorise le sentiment confus d’insécurité.

Dans une politique du tout sécuritaire, le législateur demande à la justice de mettre sous les verrous les délinquants, afin de rassurer la population.

On pourrait multiplier les exemples de non-droit et de manque d’humanité dans les lieux de détention. Il y a certes l’insuffisance de personnel et notamment de travailleurs sociaux, à qui le détenu peut se confier, le manque de structures sécurisées de soins notamment pour les détenus atteints de névroses ou maladies psychiques, mais il y a aussi des pratiques inhumaines qui persistent toujours, dans le but d’une sécurité totale, comme la fouille au corps, humiliante et la plupart du temps inutile, mais aussi le maintien des menottes sur les lits d’hôpitaux, la présence d’un gardien lors des visites médicales (donc violation du secret professionnel), le mitard (prison dans la prison où le fautif est souvent traité avec une véritable cruauté comme l’obligation de rester sans vêtement ni couverture pendant le temps de sa punition) et, enfin, l’impossibilité matérielle (faute de moyens, notamment de personnel) d’appliquer certains décrets ou certaines lois.

Dans le climat souvent sordide qui règne dans les prisons et surtout les maisons d’arrêt (la promiscuité, cause de manque d’hygiène, de bruit, de disputes, engendre la violence et les dépressions qui vont souvent jusqu’aux automutilations et aux suicides – 1 tous les 3 jours, 3 tentatives par jour, en moyenne), les relations avec l’extérieur sont essentielles : elles sont assurées sous de multiples formes, par les aumôneries ou les organismes divers qui sont à la fois à l’écoute des personnes incarcérées et de leurs familles et qui oeuvrent aussi pour une prison visant la reconstruction de l’humain ; ils demandent également que soient substituées d’autres sanctions à celle de la prison qui détruit l’être humain plus qu’elle ne le prépare à une réinsertion dans le monde. La prison n’étant pas le remède absolu au mal-être social, la solution n’est pas dans la multiplication de places en détention, mais dans des mesures alternatives à l’incarcération ou d’aménagement de la peine, comme le travail d’intérêt général, le sursis avec mise à l’épreuve, l’ajournement du prononcé de la peine avec obligation de réparer les dommages faits à la victime, la semi-liberté, la liberté conditionnelle, la surveillance à distance avec le bracelet électronique. Ces mesures se développent d’ailleurs depuis quelques années. On suit avec intérêt les projets de l’actuelle ministre de la Justice qui vont dans ce sens.

L’aumônier mérite presque aujourd’hui l’appellation d’auxiliaire de justice. La confiance est le maître-mot qui régit les rapports entre le directeur de la prison et lui. Il représente “une valeur sûre” en terme de respect d’une déontologie très forte et peu susceptible de “dérapages”. Il faut souligner que la qualité de cette relation concerne également les rapports qu’entretiennent l’aumônier et tous ses interlocuteurs dans la prison. L’aumônier représente, à ce titre, un “catalyseur” de relations authentiques entre les êtres humains dans un milieu artificiel. En effet, outre le fait que son action est bénéfique sur le plan individuel, ses effets consolident les efforts d’insertion qui peuvent être entrepris. Cette volonté de ne pas rompre les liens avec le tissu extérieur se manifeste aussi par l’élargissement des équipes d’aumônerie qui comprennent de plus en plus de personnes extérieures participant aux activités organisées à l’intérieur de la prison. Les aumôneries mènent un travail remarquable dans les lieux de détention et font avancer le sort des prisonniers (ils visitent tous les prisonniers qui le désirent, ne se bornant pas aux croyants de leur religion). S’y emploient aussi des associations non confessionnelles, non gouvernementales, non politiques, en bref, pouvant s’exprimer librement ; elles jouent un rôle important pour médiatiser les problématiques de l’incarcération et de la détention, et aider à la réinsertion des personnes détenues. On peut citer l’OIP (Observatoire international des prisons), dont une antenne a été créée en France il y a une quinzaine d’années (voir page suivante), ou BAN Public (association loi 1901), qui se veut un lien entre le dedans et le dehors afin que la prison devienne l’affaire de tous. Elle développe son action autour d’un réseau internet (prison.eu.org) permettant à toutes les personnes qui s’intéressent au problème de la prison de se mettre en réseau.

Tous les bénévoles qui s’investissent dans ces organismes contribuent à combattre l’enfermement et améliorer les conditions de détention. Ce dossier leur donne la parole dans les articles qui suivent.

Mais pour que leur oeuvre aboutisse pleinement, il est nécessaire que tous, nous prenions conscience que l’on ne pourra effectivement améliorer le sens et l’objectif de réinsertion que par une action commune, donc un changement des mentalités : trop de pétitions encore pour s’opposer à l’implantation d’établissements de réinsertion ouverts, à proximité de communes ; trop de jugements hâtifs à l’égard des délinquants, voire même de famille, laissant supposer que la rédemption est impossible pour un justiciable ayant attenté à la sécurité d’autrui. La sécurité ne peut jamais être totale puisque des crimes graves se perpétuent quotidiennement malgré le nombre d’incarcérations. La prison  est une société en miniature, avec les mêmes besoins pour chaque individu, de dignité, d’amour et de droit à envisager un avenir et non pas être sans cesse confronté à un passé dont ont été payées les déviances.

Nicole Palfroy.

 




Prison de femmes – aumônerie

C’est la nuit qu’il fait soleil

Ce n’est pas un pamphlet sur l’état des prisons, les vraies ou fausses raisons qui ont provoqué l’enfermement, les conditions d’incarcération, le personnel de la prison etc. que je voudrais écrire ! C’est juste le murmure de femmes détenues, c’est juste un moment de vie dans une MAF (Maison d’Arrêt de Femmes) située en région parisienne. Un lieu où lorsque vous y rentrez, après de multiples vérifications d’identité, de portes ouvertes puis fermées, vous vous trouvez en face d’autres femmes qui ne sont pas du tout différentes de vous : l’une d’entre elles m’a tellement touchée que je pouvais voir ma propre fille ayant sombré dans une démence subite pour effacer ou plutôt venger un vécu trop douloureux ! Oui j’ai souvent pensé en sortant de cette prison que nous avions la chance d’être du bon côté de la barrière et qu’un petit rien pouvait nous faire basculer…

“C’est la nuit qu’il fait soleil” est le titre, un peu provocateur, d’une vidéo réalisée avec l’équipe d’aumônerie, un professionnel de la vidéo et Anne, Dominique, Liliane etc. qui sont détenues et passent Noël derrière les barreaux. Une réalisation très profonde vécue il y a quelques années, qui rassemble brièvement tous les sentiments, les émotions, les paroles fortes que ces femmes ont exprimés et partagés entre elles et avec nous : colère, haine, attente, remords, fraternité, entraide… et en final un peu d’espérance évoquée ainsi : “Tout le monde peut refaire sa vie, tout amour refleurit un jour, tout chemin a son destin, c’est la nuit que l’espoir renaît.”

Noël, “un jour comme les autres où tout ce qui est dit à la radio et à la télévision fait ressentir encore davantage la séparation d’avec tous ceux que nous aimons. Pas de parloir, pas de permission, nous ne verrons pas nos enfants… Dans nos têtes c’est le chaos, petit à petit s’installe la désespérance. Comment envisager l’avenir ? L’extérieur nous effraie et nous lui faisons peur.” Dans le couloir central de la prison se déroule ce jour comme une pièce de théâtre : “Une nuit j’ai été enfermée” clame une première femme pendant qu’une cage était symbolisée avec tous leurs bras. Une vue générale sur les portes, les cadenas, les verrous, puis les surveillants marchant dans les cursives, puis le grand filet séparant le rez-de-chaussée du premier étage… Par la suite tout est symbole : les mains attachées, les loups sur les visages, les bâtons portés parallèles en vertical et en horizontal pour signifier les barreaux, les danses de foulards, le poster d’une tête de mort avec un canotier et une croix toute simple…

“La nuit est arrivée chez moi, je ne m’y attendais pas, elle a tout renversé, elle a mis le foutoir, elle s’est installée dans ma tête, elle a cassé l’avenir avec son gros rire…” crie une seconde. Des sons de percussions, des chants, de la guitare nous accompagnent. Puis le témoignage émouvant d’une femme qui ne voulait pas participer et qui se fait embaucher par sa compagne de cellule -“tu verras, on s’y amuse bien” – et celui de la femme qui découvre ce qu’elle est capable de faire – “je voulais dire à ma mère qu’au moins une fois dans ma vie j’ai fait quelque chose de bien en prison !” En final ce cri “On doit toujours espérer pour s’en sortir” résume bien le travail effectué.

Un dimanche sur deux, des personnes de l’équipe d’aumônerie et l’aumônier homme ou femme, s’apprêtent à franchir le seuil de cette maison pour “célébrer” l’accueil, l’écoute, le partage de la parole précédé d’une petite présentation puis discutée, le partage des fleurs (que chacun remporte dans sa cellule), du pain, des prières personnelles de chacune lues par une personne de l’équipe pour respecter leur amour-propre, enfin des papotages qui s’éternisent jusqu’à ce que l’on nous rappelle l’horaire ! Nous ne faisons pas d’angélisme ni de prosélytisme. Beaucoup de femmes ne sont pas chrétiennes évidemment, notre souci est de redonner une dignité à chacune, l’humain en priorité. J’ai été frappée par une femme reconnaissant ses actes : “J’ai fait une connerie, je dois la payer !” Oui en maison d’arrêt la demande “spirituelle” est forte, les femmes ont envie de comprendre. Au milieu du marasme surgit la question du sens : pourquoi ? Qu’est-ce que je fais là ? Qu’est ce qui s’est passé ? Elles sont enfermées en elles-mêmes, dans leur histoire, leurs relations, c’est un véritable engrenage et ce n’est pas s’y simple d’y voir clair. L’aumônier propose des rendez-vous dans la semaine et il le tient : sa relation est forcément humaine, il est un confident fiable. Il est un réconfort, un apaisement ; il écoute principalement. “Devant leurs vécus je me trouve souvent démunie”, m’a confié Marguerite, “je cherche la petite phrase qui va les aider à faire la vérité en elles, à prendre conscience de leur responsabilité, à prendre conscience aussi de la souffrance de leur victime !” La vérité vous rendra libre, nous a dit l’apôtre Jean. Tout un travail intérieur est à faire pour retrouver un brin d’espérance… et pour ce faire nous avons même imaginé un week-end de “retraite” ou mise à l’écart de la détention, durant deux matinées de 10h à 12h et deux après-midi de 14h à 17h autour des pèlerins d’Emmaüs, du père prodigue, de l’aveugle Bartimée… nous y avons fait une relecture de nos vies, ce qui induit de grands bouleversements souvent douloureux. On ne sort pas indemne d’une telle expérience !

Il y a bien longtemps Platon nous disait : “La peine doit préparer l’avenir”. Aujourd’hui, avec beaucoup d’autres intervenants, l’aumônerie participe à la reconstruction de l’Homme.

Françoise Gaudeul.




Accueil familles Centrales…

Accueil des familles dans une Centrale

Elles arrivent portant de gros sacs. Beaucoup sont accompagnées d’enfants. Week-end après week-end, ce trajet, parfois bien long, cette visite à celui qui les attend, seront pendant bien des années le seul objectif de leur fin de semaine. Elles… car 96 % de la population carcérale est composée d’hommes, et les plus fidèles à tenir dans la durée pour apporter soutien, affection, et nouvelles sont leurs compagnes ou leurs mères. Bien sûr viennent aussi des frères, et “compagnons de lutte”, corses ou basques, passer quelques ceux qui ont été condamnés à de longues peines. Pendant 18 ans j’ai participé à l’accueil des familles des détenus d’une centrale. Cette centrale a été une des premières à bénéficier d’un accueil des familles, initiative d’un couple ému par la longue file d’attente sur le trottoir, debout, par tous les temps, exposée au regard des “honnêtes gens”. Etre proche ou famille d’un condamné vous enferme souvent, aux yeux des autres, dans la catégorie des complices et vous revêt d’un habit de honte.

Il y a quelques années, la salle d’attente avant l’appel pour le parloir était immonde, recouverte de salpêtre, mal éclairée. Nous la décorions, offrant avec notre sourire et une oreille attentive quelques boissons et douceurs. Maintenant, les gens n’attendent plus avant d’entrer, la salle est lumineuse, mais le stress demeure. L’accueil des gardiens est dans cette centrale relativement bon, comparé, d’après les familles, à celui de nombre de maison d’arrêt et en particulier de Fresnes où la vétusté et la saleté des couloirs que doivent emprunter les familles sont repoussantes. Mais les gardiens sont de l’autre côté des grilles et du mur et les visiteurs, consciemment ou pas, sont solidaires des détenus et donc pas souvent en empathie avec les gardiens. Ce qui crée des tensions. Les uns ont des consignes à faire respecter, il est vrai peut-être sans nuances, les autres, la plupart des blessés de la société, revendiquent des droits qui peuvent nuire à la sécurité de tous. A nous d’essayer de faire prendre la mesure de chaque chose.

Chacun arrive avec sa souffrance, souvent celle d’un quotidien difficile, d’une vie brisée, à laquelle s’ajoute un poids d’angoisse, celle d’ignorer dans quel état d’esprit sera celui qu’ils viennent visiter. Sera-t-il déprimé, revendicateur, possessif, jaloux, violent, anéanti ? A nous d’écouter toutes ces attentes et ces craintes, leur permettre de se libérer par la parole. Souvent certains nous ont dit : “votre présence, votre accueil m’ont permis de tenir… A vos yeux nous sommes quelqu’un”.

Combien d’enfants, dont certains ont été conçus au parloir, n’auront connu que ce “loisir” pendant toute leur enfance, chaque fin de semaine ? Ils viennent voir “papa”, lui amènent dessins et bulletin scolaire. A l’école personne ne sait où est le père. Comment pourraient-ils soutenir alors le regard des autres ? Les tout petits n’en ont pas conscience. Ils sont même heureux de pouvoir vivre quelques heures, jusqu’à trois jours dans une unité de vie familiale, que cette centrale a été la première à posséder. Un duplex agréable mais où bien sûr la famille reste enfermée tout le temps. Ce temps familiale où on réapprend à vivre ensemble est un immense progrès même si on peut deviner le choc du détenu qui retrouve sa cellule et la tristesse de celle et ceux qui devront attendre plusieurs mois pour vivre ce temps de retrouvaille.

Dès la préadolescence l’attitude des enfants avec le père change, et beaucoup ne veulent plus venir, honte, lassitude bien compréhensible, rejet d’une autorité que leur père veut exercer alors qu’il leur apparaît désormais comme quelqu’un qui n’a pas respecté les règles. Parfois ce sont des enfants qui sont obligés de venir voir le nouveau compagnon de leur mère. Chaque semaine des bénévoles accueillent plus spécialement les enfants, jeux, travaux manuels, histoires, pour rendre ce temps de parloir plus agréable et permettre un peu d’intimité aux adultes.

Nous oublions trop souvent la détresse des familles de détenus, victimes passives, mais liées à la condamnation d’un des leurs, enfermées dans le même opprobre, le même chemin d’attente, enfermées dans une vie où tout est polarisé par les visites qui n’apportent que rarement le bonheur.

Claude Dubois.

 




Prison, longue peine… Témoignage…

Tentatives d’évasion

Une lettre pleine de soleil : X sort de prison la semaine prochaine. Il a purgé sa peine, passé son bac ; j’étais alors membre d’Auxilia comme professeur de philo et c’est à ce titre que je l’ai accompagné. Chaque quinzaine, un devoir et une lettre personnelle. Récemment je lui ai proposé de dessiner la “Caverne” évoquée par Platon, au Livre VII de La République. Non sans arrière-pensée. Il s’est, comme naturellement, approprié la douloureuse marche du prisonnier vers la lumière du jour, du domaine des ombres vers un Réel qui prend du sens.

C’est bien ce qu’ils font tous, enfermés qu’ils sont sans jouir pour autant d’une solitude où ils pourraient penser, se retrouver tels qu’en eux-mêmes. Un espace clos mais peuplé, comme peut l’être une ville encerclée, en état de siège, sous tension. Mais ici la peine est multiforme et si destructrice qu’on ne peut survivre en ces lieux que si l’on tente d’en sortir ; depuis le projet d’évasion (on trouve toujours des complices, à l’intérieur comme à l’extérieur) jusqu’à l’évasion de l’esprit : on prépare un diplôme, on apprend une langue étrangère, on participe aux activités ponctuelles, ateliers d’écriture, sport, et même conversion religieuse, office religieux, prière, il n’est pas jusqu’à la messe catholique qui ne devienne attrayante.

Et aussi un travail de manutention, sous-payé, bien sûr. Enfin les parloirs, réglementés et surveillés. Autant d’occasions de rompre l’enfermement. Sans doute, les surveillants s’enferment avec eux, mais pour quelques heures et ils sont payés pour ça.

J’ai ainsi, pendant des mois, visité un ami, incarcéré pour une courte peine. A cette époque les visiteurs étaient répartis dans des box et devaient converser avec les détenus à travers un plexiglas sous l’oeil d’un surveillant de police. Conditions peu propices à la confidence. Pourtant, jamais je n’ai connu de partage spirituel aussi sincère que ce jour où Y est arrivé, bouleversé : lui, qui était le contraire d’un violent, avait dû faire le coup de poing contre son co-détenu simplement pour se faire respecter. Il venait de découvrir qu’en ce lieu de violence multiforme, le seul langage audible est la violence.

La “longue peine” est un enfermement qui dure et qui exige une certaine adaptation, sous forme d’obéissance routinière. Là plus qu’ailleurs on ne survit que si l’on rêve de s’évader. Mais on a mesuré les risques et les conséquences d’un échec. Malgré des complicités et appuis extérieurs, une logistique patiemment mise au point et un plan de sortie, beaucoup y renoncent mais du moins ont-ils rêvé quelque temps.

Reste l’évasion à l’intérieur de soi. On revisite sa propre histoire. C’est ce que j’ai observé à distance, pendant plusieurs années. Z était en détention longue peine. Il s’était inscrit en Philo, mais dès le premier devoir, il a avoué qu’il souhaitait plutôt “écrire un livre”. Pour moi, un investissement énorme, mais je me suis prêtée à ce mode d’évasion où il semblait trouver un certain équilibre. Je me bornais aux remarques purement formelles sur ses textes, où je lisais pourtant une affabulation débridée. Au bout de trois ans, le “livre” comptait 800 pages manuscrites : Z était entré dans la spirale de la folie, il s’était construit une vie tragique et héroïque, ponctuée d’anecdotes au goût douteux. Et s’il était là, c’est qu’il était victime d’une sombre machination. C’était sa manière à lui d’échapper à l’ennui mortifère du quotidien.

Après entretien avec une psychologue d’Auxilia, j’ai mis fin à cet accompagnement, sans le moindre sentiment d’avoir échoué. Cependant il eût été dangereux de l’abandonner brutalement. Je l’ai confié à d’autres, mieux outillés que moi pour pouvoir l’aider. J’avais du moins été pour lui “un électrochoc”, selon ses propres termes.

Huguette Charrier.

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Auxilia est un organisme dont l’objectif est de favoriser l’insertion de personnes en difficulté : dont les détenus. Les membres, tous bénévoles, s’engagent dans divers services. Dont l’enseignement à distance. Ils bénéficient eux-mêmes d’une aide : réunions par discipline, journées d’information d’ordre juridique, psychologique ou social. Jamais ils ne connaissent le motif de l’incarcération. Ils travaillent sous pseudonyme, le courrier des détenus est adressé au siège de l’organisme.




N’ayons pas honte d’être différents…

“N’ayons jamais honte d’être différents !”

Depuis quelques mois, je suis prêtre accompagnateur dans une équipe d’aumônerie au service de personnes hospitalisées en secteurs psychiatriques : un monde d’exclusion et de captivité, un monde qui fait peur  ; mais un monde qui, ne faisant partie ni des bien-pensants ni des bien-comme-il-faut, a tant à nous apprendre.

Non productives dans notre société marchande, ces personnes sont plutôt bien placées pour nous rappeler une valeur essentiel : celle de notre humanité. Libérées des tabous, des bonnes convenances, du bien se tenir, elles nous font comprendre que le vivre ensemble se joue d’abord dans l’authenticité intérieure, aussi perturbé que soit cet “intérieur” ; que le sens de cette vie qui leur échappe est prioritaire sur la façon de vivre ; que le partage n’est pas seulement une affaire de générosité individuelle, si difficile à mettre en oeuvre quand on a tant perdu de soi-même, mais une intuition que les ressources de la vie ont vocation à être partagées dans une communauté de destin.

Personnellement, à leur école, j’ai déjà dû et pu vivre certains dépassements et vaincre certaines résistances.

D’abord avec moi-même

Il m’a fallu  commencer à découvrir cette forme de captivité où l’on est prisonnier à la fois de son corps malade qui échappe à la personne, de la structure du cadre de soin qui réduit son environnement et des traitements médicamenteux qui contraignent des émotions.

Il m’a fallu apprendre à investir des mondes de communication plus ou moins organisés, en réception comme en réponse, pour exprimer et partager un sentiment, une souffrance, une révolte, une humanité cassée mais qui “respire” encore et qui se révèle par des gestes de cordialité, des attitudes corporelles, des dessins, des poèmes, des prières ou un simple signe de connivence (regard, sourire…).

Ayant antérieurement exercé comme médecin (dans le domaine de la santé publique), j’ai dû aussi résister à la tentation d’étiqueté les syndromes : schizo, bipo, etc.

Et surtout, j’ai tenu à ne pas assimiler perturbation et déficience et à accueillir en adultes, majeures, matures, ces personnes déjà bien trop infantilisées par leur situation.

Avec l’institution psychiatrique

Dans le monde de la santé mentale, le corps psychique est pris au sérieux alors que la société matérialiste l’oublie ou le dévalue souvent ; l’imaginaire y prévaut sur le réelle ; une image dégradée de soi-même tente de se réhabiliter.

L’excès de compassion ou d’empathie y est à éviter pour prévenir les risques de transfert.

C’est dans ce monde-là que notre travail en aumônerie est de témoigner qu’avec le corps physique, le corps psychique, le corps social, cohabite aussi un corps spirituel qui donne du sens à la vie, là où en est cette vie et dans l’état où elle est. Et c’est dans ce contexte que je suis amené à intervenir au titre d’une instance cléricale dont je ne suis représentatif que de façon assez distante. Il me revient donc, à moi aussi, d’assumer ma part de marginalité…

J’entends et je comprends la plupart des réserves “religieuses” des thérapeutes et soignants en psychiatrie, bien conscient des pathologies induites ou du moins entretenues par certaines pratiques culturelles ou dévotionnelles hyperpieusardes, superstitieuses, fétichistes, idolâtres… depuis les trop banales névroses religieuses jusqu’aux grands délires mystiques caractérisés.

Il nous faut accepter de ne pas être autorisés à rencontrer, parmi les plus souffrants, ceux qui seraient trop agités ou trop délirants, de recevoir en pyjama mais avec toute leur dignité ceux dont on craint qu’ils saisissent l’occasion comme une opportunité de fugue, de refuser un sacrement qui serait vécu comme substitut au traitement, etc. Et d’être circonspect sur la compatibilité et les interférences possibles entre accompagnement spirituel et thérapie.

Avec l’institution ecclésiale

En m’envoyant vers les personnes hospitalisées en psychiatrie, ma lettre de mission me chargeait de leur témoigner de l’amour de Dieu pour elles et de la place dans l’Eglise diocésaine.

Belle mission en vérité !

Mais de quel Dieu s’agit-il ? D’un Dieu protecteur dans sa bien surveillance “supérieure” ou d’un Dieu partenaire, partageant leur fragilité ? D’un Dieu bon maître et bon juge ou d’un Dieu au coude à coude avec eux dans les combats dans leur vie ?

Et de quelle Eglise ? Celle qui entretient la pratique d’une religiosité parfois bien régressive et infantilisante ou celle qui annonce un Evangile libérateur et émancipateur ? Qui met à genoux ou qui met debout ? Celle qui part d’une foi professée pour tracer une ligne de “bonne” conduite de vie ou celle qui part d’une vie aussi “tordue” soit-elle pour y tracer des chemins de sens, de foi, de confiance, d’espérance ? Celle qui s’efforce d’accueillir généreusement les différences mais dans la conformité d’un cadre canonique normatif ou celle qui choisit, comme Jésus, de se faire marginale avec les marginalisés pour s’aventurer avec eux vers une vie à reconquérir et à réhabiliter ?

Notre institution ecclésiale a bien de la peine à être suffisamment claire sur ces priorités. La pastorale de la santé et ses rencontres d’aumôneries hospitalières, aussi amicales et sympathiques soient-elles, ne peuvent pas, elles non plus, se risquer très au-delà des références religieuses convenues. En outre, par sa spécificité, la psychiatrie s’y trouve assez démarquée. Alors, en équipe, il nous reste à nous confier à notre conscience humaine et évangélique ainsi qu’à la complicité de l’Esprit-Saint pour assumer, du mieux possible, la mission qui nous est confiée.

Et avec la santé mentale… en société

Une société méfiante devant cette réalité qui lui suscite tant de malaise, de peur, de honte. Une société qui n’accepte que prudemment les différences, les déviances, à commencer par celle-là. Une société de communication plus technologique qu’humaine, ne sachant pas intégrer les malades en souffrance mentale, ni même parler avec eux, estimant qu’ils ne relèvent que de la compétence de spécialistes. Une société qui entretient ses craintes sur le risque de violence occasionnée par les personnes psychopathes qui en sont, certes, 1,3 fois plus souvent auteurs, mais en oubliant qu’elles en sont aussi 11 fois plus souvent victimes.

Tout cela fait que beaucoup de ceux-ci sont ou se perçoivent rejetés, abandonnés, d’abord par leur propre famille.

Ainsi, Stéphane qui aurait tant voulu que sa mère vienne le voir à l’occasion de son anniversaire ou Catherine qui a entendu en vain que quelqu’un de chez elle vienne la chercher pour le baptême de ses deux petites filles.

Même médicalement stabilisés, ils ont encore bien du mal à se projeter dans la reconquête et la gestion de leur autonomie sociale. Sans oublier ce qui peut en être de leur vie amoureuse…

Alors, comment est-ce que j’essaye de vivre cette mission ?

En dépit de toutes ces difficultés contrariantes et peut-être même en raison de celles-ci, voici quelques points d’appui qui me permettent d’aller un plus loin.

Tout d’abord, malgré bien des déboires et bien des contradictions que j’ai dû affronter dans ma vie de prêtre, je suis et je reste aujourd’hui heureux de l’être, au service de l’Evangile là où ses défis sont à relever en priorité. Ceux à qui je suis envoyé m’invitent et m’aident à me compromettre avec eux ; à (ré)investir, moi aussi, mon imaginaire, à commencer par ces utopies ; à revendiquer, moi aussi, ma différence, ma marginalité ; à appréhender leur attitude déviante, voire leur dangerosité potentielle, en discernant leurs ressources intérieures avant leur comportement extériorisé.

Leur chemin est souvent long pour (re)devenir pleinement eux-mêmes dans leur identité, leur humanité, leur personnalité retrouvées. En les accompagnant sur ce chemin, je ne peux qu’être moi aussi, authentiquement moi-même et non pas jouer, auprès d’eux, un rôle, un personnage, qui me serait attribué par ma fonction.

Ainsi, étant par ailleurs plus à l’aise avec des croyants militants qu’avec des croyants pratiquants, je partage avec eux, comme avec l’équipe d’aumônerie, cette sensibilité militante. Certes, l’action militante est plus que difficile en situation d’enfermement, mais je ne renonce pas pour autant à en promouvoir et à en soutenir l’esprit par une ouverture collective sur la vie, laissant à chacun d’entre eux l’introspection de sa vie, imaginaire ou réelle, par le travail psychothérapique.

Pour dynamiser le message de foi, je tiens, dans ce contexte, à privilégier la notion de confiance que je place volontiers au coeur même de ce message.

Cette foi, c’est d’abord la foi de Dieu a en nous, la confiance qu’il nous fait, qu’il nous donne en nous-mêmes et qu’il nous appelle à nous donner les uns aux autres. Et c’est ainsi que, ensemble, nous pouvons exprimer et lui témoigner notre confiance et notre foi en Lui.

Et quand vient le moment de célébrer cette foi en Eglise, certains accomodements me semblent utiles. Anticiper comment risquent d’être reçus certains textes bibliques ou religieux pris à la lettre, selon l’état clinique des uns et des autres. Oser contourner certaines rubriques liturgiques qui en rajoutent sur la culpabilisation (dans le rituel dominical officiel de base, les termes “pêcheur” ou “pêché” sont repris 17 fois, “amour” ou “aimer” seulement 4 fois !) ; dynamiser la prière en substituant, par exemple, “confiance” à “pitié”, etc. Eviter une participation trop scolaire en préférant une (re)création de l’expression de foi à la récitation répétitive de formules (de type credo), ou trop passive : ainsi, la prière universelle n’est pas préparée par les animateurs mais par les résidents eux-mêmes. Favoriser tout ce qui peut les aider à grandir dans leur vie de croyants. Enfin tolérer et même positiver certaines interventions spontanées, voire, parfois, intempestives…

Il s’agit donc de célébrer la même foi, mais autrement. Peut-être aussi de contribuer à renouveler une expression ecclésiale de la foi plus consciente de la valeur des exclus, plus soucieuse de leur émancipation, et donc profitable à toutes les communautés croyantes.

J’ajoute un projet qui serait à concrétiser : ouvrir un espace de partage de parole et de recherche spirituelle pour les soignants. A suivre…

Je ne peux conclure (provisoirement) ce témoignage qu’en disant merci.

Merci à ceux qui m’ont fait confiance en Eglise. Merci à ceux qui mon associé à leur travail d’équipe en aumônerie. Merci à ceux qui, du fond de leur lit, cachés dans leur pyjama, enfermés, rejetés, abandonnés, m’ont accepté comme partenaire bien fragile de leur destin.

Avec eux je veux crier : “N’ayons jamais honte d’être différents !”.

Michel Deheunynck.