Le livre : L’Evangile sur les Parvis, présentation
Le livre : “L’Evangile sur les Parvis” est paru le 13 octobre 2015. Il reprend des articles des 70 Revues “Les Réseaux des Parvis” autour de 12 thématiques :
[bsk-pdf-manager-pdf id=”89″]
[bsk-pdf-manager-pdf id=”89″]
« Ces armes nucléaires moralement inacceptables »
Jean-Marie MULLER*
L’archevêque Francis Chullikatt, observateur permanent du Saint-Siège à l’ONU (New York), est intervenu le 30 avril 2014 lors de la réunion préparatoire finale de la Conférence d’examen du Traité de non-prolifération nucléaire (TNP) de 2015. Le texte de son intervention présente une analyse fort intéressante de la situation qui prévaut aujourd’hui dans le monde à propos des armes nucléaires.
Il souligne tout d’abord l’importance de plus en plus grande de chaque Conférence portant sur le TNP : « Plus long sera le délai pour atteindre les objectifs du traité, plus grand sera le risque que l’équilibre fragile de la sécurité internationale soit brisé par une tragédie cataclysmique impliquant l’usage d’armes nucléaires. » Il rappelle que « cela fait maintenant 44 ans que le TNP est entré en vigueur mais que le maintien de l’existence de quelque 17.000 armes nucléaires avec la modernisation des programmes qui se profile laisse supposer que les armes nucléaires continueront à bien faire partie des arsenaux militaires dans la seconde moitié du XXIe siècle ». Autant dire qu’il faudra encore attendre « une éternité » pour espérer voir se réaliser un hypothétique désarmement mondial. « Sans des progrès vigoureux vers l’élimination des armes nucléaires, le jour peut n’être pas loin où le traité sera regardé comme une relique d’un âge ancien. » Soit.
Il précise son diagnostic qui est particulièrement sévère : « Si l’une des obligations centrales du TNP – des négociations sur l’élimination des armes nucléaires – continue d’être remplie avec tant de timidité et à un rythme aussi inaccepatblement lent, la confiance dans les chances de succès d’un régime de non-prolifération pourrait graduellement se briser et le risque d’une plus grande prolifération augmenterait. » En effet.
Francis Chullikatt souligne la responsabilité des Etats dotés de l’arme nucléaire qui font une approche déséquilibrée du traité : tandis qu’ils font montre d’un fort intérêt pour réduire la prolifération, leur engagement pour se départir eux-mêmes de ces instruments d’un pouvoir hégémonique est dépourvu d’une telle urgence. Les États dotés d’armes nucléaires font valoir qu’ils ont besoin de ces armes pour leur propre sécurité, tandis qu’ils n’accordent aucune attention aux avis des experts dans différends domaines de l’activité humaine selon lesquels « les armes nucléaires sont le parfait exemple de l’insécurité ». « La doctrine militaire de la dissuasion nucléaire, affirme-t-il encore, est regardée par un grand nombre de pays comme l’obstacle principal à un progrès significatif du désarmement nucléaire. » À l’évidence.
Francis Chullikatt rend compte de l’initiative prise par de nombreux pays non dotés d’organiser des rencontres pour discuter des « conséquences humanitaires catastrophiques » de l’utilisation des armes nucléaires. Ces rencontres, précise-t-il, « expliquent très clairement avec des détails atroces les horreurs qui frapperaient l’humanité dans l’éventualité d’un usage accidentel ou délibéré des armes nucléaires. » Dès lors, la ligne de conduite est claire : réaliser « des progrès urgents et rapides conduisant à une interdiction générale des armes nucléaires ».
Cependant, l’archevêque note avec lucidité que ces rencontres diplomatiques, auxquelles les pays dotés ne participent pas, « ne peuvent pas par elles-mêmes initier un processus qui donne lieu à une interdiction. » Il veut espérer que « les principaux États décideront d’agir de manière plus substantielle et plus résolue pour éliminer le fléau de ces armes nucléaire moralement inacceptables ». Pour cela, il faut que « les États dotés travaillent avec les États non dotés pour préparer un chemin commun pour développer un instrument légalement contraignant qui interdise la possession des armes nucléaires. » En définitive, Francis Chullikatt veut croire que l’engagement de bonne foi de toutes les parties liées au TNP permettra de rapprocher le monde de l’élimination des armes nucléaires. Il conclut par ces mots : « Les armes nucléaires – l’antithèse de l’aspiration de l’humanité à la paix – ne doivent avoir aucune place dans une communauté mondiale déterminée à atteindre une sécurité mutuelle à l’échelle internationale ».
L’archevêque estime également que les États dotés de l’arme nucléaire ne devraient pas continuer à dépenser chaque année des milliards de dollars pour maintenir leur arsenal, « alors que cette précieuse ressource financière est si désespérément nécessaire pour répondre aux besoins des plus pauvres du monde ».
Mais comment partager l’espérance du prélat ? Tout au long de son intervention, il met en avant la mauvaise foi dont les États dotés ont fait preuve ces dernières décennies pour entreprendre de réelles négociations sur l’élimination des armes nucléaires et il ne laisse entrevoir aucune perspective pour que cela change dans les décennies à venir.
Francis Chullikatt donne précisément les arguments qui privent les États dotés de toutes les justifications qu’ils prétendent avancer pour maintenir et moderniser leurs arsenaux nucléaires. Si, vraiment, les armes nucléaires sont « moralement inacceptables », si, vraiment, elles sont « l’antithèse de l’aspiration de l’humanité à la paix « , si, vraiment, « la doctrine de la dissuasion nucléaire est le principal obstacle au désarmement nucléaire », si, vraiment, l’arme nucléaire est « l’exemple parfait de l’insécurité », si, vraiment, le risque augmente chaque jour d’une « tragédie nucléaire cataclysmique », si, vraiment, l’argent dépenser pour maintenir les armes nucléaires est nécessaire pour satisfaire les besoins des plus pauvres du monde, comment ne pas en conclure logiquement que c’est une stricte obligation morale pour chaque État doté de décider de renoncer unilatéralement à la possession de ses armes nucléaires ?
Au regard même de la rigueur de l’analyse de Francis Chullikatt, cette obligation morale est un impératif catégorique. L’essence même de l’obligation morale est d’être unilatérale. Il est incompréhensible que l’archevêque n’en vienne pas lui-même à cette conclusion qui est la seule cohérente avec l’ensemble de ses propos. Tout laisse penser que, comme malgré lui, il reste prisonnier de la rhétorique du désarmement multilatéral qui a pris rang de doctrine officielle de l’Église catholique, alors qu’il montre lui-même que cette rhétorique est inopérante. L’urgence est donc de déconstruire cette doctrine. Afin de ne pas laisser s’éteindre la petite flamme fragile de l’espérance.
(*) Philosophe et écrivain
muller.roussier@libertysurf.fr
www.jean-marie-muller.fr
Et pourqoi pas le convivialisme ?…
Alain Caillé, sociologue, a réuni, dans un manifeste convivialiste, l’aboutissement de discussions au sein d’un groupe d’une quarantaine d’auteurs francophones représentatifs de plusieurs courants de pensée et d’action qui tentent de dessiner les contours d’un autre monde possible en développant une pensée alternative.
Parmi les quarante auteurs nous pouvons citer : Claude Alphandéry, Denis Clerc, Jean-Baptiste de Foucauld, Vincent de Gaulejac, Susan George, Jean Louis Laville, Edgar Morin, Patrick Viveret…
Ceux qui désirent participer au débat, enrichir ou contester les idées peuvent le faire avec cette adresse mail :contact@lesconvivialistes.fr
Un constat :
Jamais l’humanité n’a disposé d’autant de ressources matérielles et de compétences techniques et scientifiques. Prise dans sa globalité, elle est riche et puissante comme personne dans les siècles passés n’aurait pu l’imaginer. Rien ne prouve qu’elle en soit plus heureuse. Mais nul ne désire revenir en arrière car chacun sent bien que de plus en plus de potentialités nouvelles d’accomplissement personnel et collectif s’ouvrent chaque jour.
Pourtant, à l’inverse, personne non plus ne veut croire que cette accumulation de puissance puisse se poursuivre indéfiniment, telle quelle, dans une logique de progrès technique inchangé, sans se retourner contre elle-même et sans menacer la survie physique et morale de l’humanité.
Des menaces sont énumérées :
– Le réchauffement climatique les désastres et les gigantesques migrations qu’il va entraîner
– La fragilisation des écosystèmes et la pollution
– Le risque d’une catastrophe nucléaire
– La raréfaction des ressources énergétiques
– Le développement du chômage, de l’exclusion
– Des écarts de richesse démesurés
– La multiplication des guerres civiles, tribales
– Le développement d’un terrorisme aveugle
– L’insécurité croissante sociale, écologique…
– Le poids croissant des systèmes financiers et spéculatifs
Des promesses du présent :
Si ces menaces étaient conjurées, que de potentialités et de perspectives d’épanouissement individuel et collectif notre monde recèle :
– Le triomphe mondial du principe démocratique. C’est au nom de la démocratie que partout dans le monde on se soulève.
– Il devient donc envisageable d’en finir avec tous les pouvoirs dictatoriaux ou corrompus.
– La sortie de l’ère coloniale ouvre à un véritable dialogue des civilisations qui peut se construire à partir de la reconnaissance d’une égalité de droits et d’une parité entre les hommes et les femmes.
– La recherche d’une nouvelle participation et d’expertise citoyennes
– Les technologies de l’information et de la communication multiplient les possibilités.
– La recherche de la transition écologique dans les modes de production et d’échange par exemple dans l’économie sociale et solidaire.
– L’éradication de la faim et de la misère peuvent devenir un objectif accessible.
Il reste des défis à affronter :
– L’humanité a su accomplir des progrès techniques mais elle est restée impuissante à régler et à résoudre certains problèmes : comment gérer la rivalité et la violence entre les être humains ? Comment les inciter à coopérer pour se développer tout en permettant de s’opposer sans se massacrer ?
– Comment faire obstacle à l’accumulation de puissance potentiellement autodestructrice.
Des réponses existent :
– Les religions, les morales, les doctrines politiques, la philosophie et les sciences humaines et sociales… ont essayé d’apporter des réponses quand elles ne sont pas tombées dans un sectarisme, un moralisme ou un idéalisme.
– De nombreuses organisations et associations défendent les droits de l’homme et de la femme, du citoyen, du travailleur, du chômeur, des enfants…
– L’économie sociale et solidaire, les coopératives, le mutualisme, le commerce équitable…
– L’altermondialisme, l’écologie politique, les indignés
– Les mouvements de la transformation personnelle, de la sobriété volontaire, les théories du care
– Regrouper mes forces et souligner ce qu’elles ont en commun qui est la recherche d’un convivialisme, un art de vivre ensemble qui valorise la relation et la coopération et qui permette de s’opposer sans se massacrer en prenant soin des autres et de la nature.
– L’opposition et les conflits peuvent être constructifs car il y a toujours des points de vue et des intérêts différents.
– Faire droit au désir de reconnaissance de tous et le droit à la rivalité en empêchant qu’il se transforme en démesure mais en favorisant l’ouverture coopérative à autrui.
– Créer un fondement durable éthique, économique, écologique et politique.
– Ce fondement se cherche à travers les religions, la référence au sacré : taoïsme, hindouisme, bouddhisme, confucianisme, judaïsme, christianisme, islam… Dans la référence à la raison, à travers les philosophies ou les morales laïques ou humanistes…
– Il se cherche dans la référence à la liberté et les idéologies politiques : libéralisme, socialisme, communisme, anarchisme
– Ce qui change à chaque fois c’est l’accent mis sur l’individu (la morale), le collectif (le politique),la nature (écologie), la surnature (la religion), au bien-être matériel (l’économie)
Créer un fond doctrinal minimal partageable pour répondre aux quatre questions de base :
1- La question morale : qu’est-il permis aux individus d’espérer et que doivent-ils s’interdire ?
2- La question politique : les communautés politiques peuvent-elles respecter l’humanité, la socialité, l’individuation et
L’opposition maîtrisée ?
3- La question écologique : que pouvons-nous prendre à la nature et que devons-nous lui rendre ?
4- La question économique : quelle quantité de richesse matérielle pouvons-nous produire ?
Libre à chacun d’ajouter à ces questions le rapport à la surnature, au spirituel, à l’invisible…
Aucune des doctrines ne donne de réponse satisfaisante. Toutes elles ont présupposé que le conflit entre les hommes nait de la rareté matérielle. Elles pensent les humains comme des êtres de besoin et non de désir. Elles ont mis leurs espoirs dans une croissance économique infinie. Elles ne tiennent pas compte de la finitude de la planète et des ressources naturelles. Avec un taux de croissance moyen de 3,5 par an le PIB serait multiplié par 31 en un siècle. Peut-on imaginer 31 fois plus de pétrole d’uranium ou de CO2 en 2100 ?
La financiarisation générale du monde et la subordination de toutes les activités humaines à la norme marchande, c’est le marché étendu à toutes les activités humaines. Les régulations sociales et politiques ont été détruites au profit des régulations marchandes. Il reste le goût du gain et de la promotion hiérarchique, le pouvoir… Tout semble soumis à une logique comptable, technique et gestionnaire. Si le but de la vie est de gagner de l’argent, alors faisons de la spéculation financière.
Peut-on revenir à une société du « care » et le développement personnel et des politiques publiques valorisant le travail pour autrui. C’est la manifestation que nul ne se fait tout seul et que nous sommes tous dépendants les uns des autres. Le care et le don sont la traduction en actes de l’interdépendance générale du genre humain.
Le convivialisme :
Le convivialisme est le nom donné à tout ce qui, dans les doctrines existantes, concourt à la recherche des principes permettant aux être humains à la fois de rivaliser et de coopérer dans la pleine conscience de la finitude des ressources naturelles et dans le souci partagé du soin du monde.
Quelques principes :
1- La commune humanité par-delà la différence de couleur de peau, de nationalité… De sexe ou d’orientation sexuelle. Il n’y a qu’une seule humanité qui doit être respectée.
2- Le principe de commune socialité. Les êtres humains sont des êtres sociaux.
3- Le principe d’individuation : permettre à chacun d’affirmer au mieux son individualité en développant ses potentialités (capabilités) dans une égale liberté.
4- Le principe d’opposition maîtrisée. Les humains peuvent s’opposer sans se détruire. Permettre aux êtres humains de se différencier en acceptant et en maîtrisant le conflit.
Des considérations morales :
– Une égale dignité avec tous les autres êtres humains. Accéder aux conditions matérielles suffisantes sans basculer dans la démesure et la toute puissance.
Des considérations politiques :
– Un état mondial est illusoire pour l’instant.
– Les états doivent respecter les principes de commune humanité, de commune socialité, d’individuation et d’opposition maîtrisée, une politique de la dignité et du respect des personnes.
– Garantir un revenu de base et instaurer un revenu maximum.
Des considérations écologiques
– Permettre une justice écologique pour laisser aux générations futures un patrimoine naturel préservé.
– La diminution du CO2 et le recours prioritaire aux énergies renouvelables.
– Ne pas considérer les animaux comme du matériau industriel.
Des considérations économiques
– L’état écologique de la planète rend nécessaire de rechercher toutes les formes possibles d’une prospérité sans croissance.
– Rechercher un équilibre entre le marché, l’économie publique et de type associative
– Lutter contre les dérives rentières et spéculatives
– Développer toutes les formes de créativité : artistique, technique, scientifique, littéraire, théorique, sportive etc…
Manifeste convivialiste… Déclaration d’interdépendance, éditions “le bord de l’eau” 2013
Quel récit sur l’avenir est-il possible ?
Personne ne peut plus raconter l’avenir… Quel récit sur l’avenir est-il possible ?
Ce récit ne parlera pas d’une abondance inépuisable, ni d’égalité, ni de conquête de l’espace… Les religions hésitent à nous parler d’immortalité. L’effondrement des grandes idéologies laissent un espace vide vers l’avenir.
Le modèle de croissance que nous avons vécu ces dernières années est en grande difficulté. Il reposait sur une aspiration insatiable à toujours plus de production matérielle. La remise en cause de ce modèle présente un danger pour la démocratie il risque de détruire les espoirs d’amélioration de la situation matérielle des individus.
Il est donc urgent de repenser entièrement notre modèle économique et social en s’engageant dans de nouvelles voies qui permettent de sauver ce qui peut l’être et qui évite à l’humanité de connaître la catastrophe finale. Cette nouvelle voie suppose de penser la croissance économique autrement : « la Sobriété heureuse » nous disent Pierre Rabhi et Patrick Viveret. Alain Caillé, sociologue, nous parle de « l’état stationnaire dynamique » défini comme une situation dans laquelle la recherche insatiable d’une hausse de la production est remplacée par la recherche d’une meilleure satisfaction des besoins. L’acceptation de cette conception nécessite que l’on parvienne à l’aspiration à l’illimité des individus et des sociétés.
Il est donc nécessaire de procéder à une véritable révolution morale en contribuant à la diffusion d’une nouvelle morale à vocation universelle car les problèmes sont mondiaux.
Ce nouveau mode de vie devra privilégier les valeurs altruistes de convivialité. Pierre Rosanvallon, dans « la société des égaux » nous parle de « réciprocité bienveillante ». Jean-Louis Servant Schreiber dans « Aimer (quand même) le XXIe siècle » nous dit qu’il n’y a guère qu’au nom de la fraternité que l’on ne s’est pas tué. La recherche du mieux vivre ensemble est donc recherché avec la recherche du bien-être et du bonheur.
C’est rechercher une nouvelle forme de « sagesse » qui est un concept qui traverse l’histoire et qui pré-existait avant les religions. Une sagesse « moderne » va se nourrir des connaissances actuelles en renforçant l’individu face à un monde qui le dépassera toujours. Le sage contemporain devra se désencombrer en étant dans le réel sans s’inventer une métaphysique ou une transcendance.
Nous avons donc plus besoin de grands récits mais de petits récits de vie dans un contexte de fraternité.