La théologie de la Libération

Le concept de théologie de la libération est né en des lieux et à une époque où l’Église Institution, censée annoncer l’Évangile, était de fait le soutien actif (quelquefois en justifiant ce soutien au nom de l’Évangile !) de minorités privilégiées détenant tous les pouvoirs politiques et économiques pour faire régner les injustices et exploiter la plus grande partie de la population au mépris des droits humains les plus élémentaires. Cette situation perdure-t-elle aujourd’hui dans nos sociétés développées où la laïcité est légalement établie, même si elle n’est pas toujours respectée ? Notre société connaît des injustices de toute nature, des inégalités de revenus, de patrimoine et peut-être surtout de pouvoir et de chances qui s’aggravent sans cesse. Le nombre des « sans » (travail, papiers, logis etc.), des personnes en situation précaire est en augmentation continue. Ces injustices ne viennent pas seulement du haut, les gouvernants politiques et économiques, mais aussi de groupes sociaux soucieux avant tout de maintenir coûte que coûte, et en ignorant l’intérêt commun, des avantages qui se sont transformés de fait en privilèges, voire parfois en injustices flagrantes. Face à toutes ces situations, l’Église Institution reste le plus souvent silencieuse, sinon complice, même si heureusement il y a de remarquables exceptions.

Alors, le message libérateur de l’Évangile est plus que jamais d’actualité. Donner sens à la théologie de la libération aujourd’hui commence sans doute par se libérer soi-même ; trouver sa liberté de vivre et analyser les situations, se libérer du pessimisme ambiant et des slogans simplistes, libérer sa conscience personnelle et même se libérer du religieux. Leonardo Boff rappelait que la théologie de la libération, dont il fut l’un des pionniers au Brésil dans les années 1970, est le reflet de la réflexion sur une pratique préalable, signifiant ainsi que l’engagement de vie dans la liberté est premier. Les préceptes théologiques viennent ensuite. L’Évangile nous dit sans ambigüité que cet engagement doit être prioritairement en faveur des plus démunis, pour combattre les injustices.

Aujourd’hui encore, il arrive que l’Église officielle parle et agisse d’une manière dont nous pensons en conscience qu’elle ne va pas dans le sens de l’Évangile. Nous avons alors le devoir de réagir, d’affirmer notre liberté par rapport à l’Institution, et peu importe que notre positionnement soit à l’intérieur ou à l’extérieur de celle-ci. Comme nous l’avons dit dans notre Message d’espérance à l’occasion de notre rassemblement de Lyon 2010 : « Le message de l’Évangile ne peut plus être porté par voie d’autorité ». Continuer à faire vivre aujourd’hui la théologie de la libération apparaît bien comme l’un des enjeux du thème de ce dossier « Réforme et subversion évangélique d’hier à aujourd’hui ». Dans les articles qui suivent, Nicole Palfroy nous donne les repères historiques essentiels de la théologie de la libération, principalement en Amérique Latine, et Claude Dubois nous décrit ses prolongements dans les théologies féministes qui ont été source d’inspiration de nombreux combats des femmes à travers le monde.

Jean-Pierre Schmitz