Les pieds dans le bénitier…

Les pieds dans le bénitier

Anne Soupa et Christine Pedotti

Comme plusieurs d’entre nous, j’ai eu beaucoup de plaisir à entendre la conférence d’Anne Soupa le 18 octobre au centre Mounier à Strasbourg. Les analyses qu’elle a développées n’étaient certes pas nouvelles pour nous mais sa force de conviction, son dynamisme, sa détermination à ce que les choses bougent ont certainement conquis une grande partie du public. J’ai donc profité de la librairie présente au rassemblement des Réseaux du Parvis pour acheter le livre qu’elle cosigne avec Christine Pedotti, les pieds dans le bénitier.

J’y ai retrouvé, formulées avec vigueur et sans langue de bois, leurs réflexions sur la situation faite aux laïcs, et singulièrement aux femmes, dans l’église catholique. Le chapitre 2, « soutane rouge et jupons blancs », recèle quelques formules décapantes qui font du bien : « Comme les esclaves à Rome autrefois, les femmes font tout. Le ménage, les fleurs, les chants, le catéchisme, les formations bibliques, les visites aux malades, les doctorats de théologie. Elles font tout sauf décider. » (p. 44) ; ou encore p. 49 la magnifique tirade sur le « petit club » du Vatican, trop longue   pour être citée ici intégralement mais qui vibre d’une juste et sainte colère !

Bref, des critiques claires et fermes, une argumentation étayée, par exemple sur la question du différentialisme et de la complémentarité, « c’est la femme qui est complémentaire de l’homme, jamais l’inverse » (p.41).

Parallèlement à cette démonstration, les auteures racontent et expliquent leur cheminement, du Comité de la Jupe à la Conférence Catholique des Baptisé(e)s de France. Si on peut regretter, comme je le fais avec d’autres, que la spécificité du sort fait aux femmes se soit trop vite dissoute dans la question de la responsabilité des baptisés, il n’en reste pas moins que ces deux femmes-là agissent avec une belle énergie et des compétences certaines en communication ! Mais quand même, on peut s’interroger sur leur certitude qu’il est possible de faire changer les choses de l’intérieur et, qui plus est, sans contester a priori les règles de fonctionnement actuelles. Elles s’adressent ainsi à celles et  ceux qui souhaitent les rejoindre à la CCBF et à qui elles demandent d’exprimer « 100 idées à mettre en actes » :  « Afin que les idées que vous allez avoir, ou que vous avez déjà, puissent être immédiatement suivies d’effet, nous vous demandons d’accepter de vous situer dans les règles actuelles de l’Église catholique : discipline du célibat masculin pour les prêtres, non-admission des divorcés remariés à la communion eucharistique, gouvernement central du Vatican… » (p. 231). Là, sincèrement, j’ai du mal à suivre, tout simplement parce que, avec beaucoup d’autres, nous n’en sommes plus là !

Et il faut bien alors en arriver à ce qui, à mes yeux, affaiblit grandement la portée de cet ouvrage : on n’y trouve aucune référence, aucune allusion ou presque à tous les groupes, mouvements, associations, qui depuis longtemps ont dit ces choses-là et qui ont pris leurs responsabilités, parfois leurs risques, en affirmant leurs convictions haut et fort, de l’intérieur, du seuil… ou des parvis. A moins que tout cela ne soit résumé p. 142 « Nous pouvons, encore et encore, user nos poings jusqu’au sang sur les portes de bronze du système romain actuel, d’autres avant nous s’y sont essayés, en pure perte. Que leur expérience serve au moins à épargner nos forces ! »…ou encore p. 162 : « Lorsque le peuple catholique s’est échiné à se faire entendre, haut et clair, dans tous les synodes, dans toutes les marches, dans des requêtes multiples et diverses, dans tous les livres blancs possibles, depuis les années soixante-dix, quand il a imploré plus ardemment encore que l’importun de l’Évangile à qui Jésus lui-même dit qu’on doit céder, qu’est-il advenu ? Rien, les portes de bronze sont restées closes. »

On a le sentiment qu’avant elles, rien de sérieux ou de crédible n’a été dit ou fait pour faire bouger l’église catholique ou du moins que ce qui a été fait n’a été que de l’ordre des doléances, des suppliques, attitudes qu’elles considèrent, à juste titre, comme infantilisantes. Mais que font-elles des apports si riches des mouvements d’action catholique, des théologiens de la libération et de tant de communautés, y compris paroissiales, qui ont fait avancer tranquillement les choses ? Par exemple, dans de très nombreuses paroisses ou autres communautés, l’amitié fraternelle et la conviction que « nous ne sommes pas les comptables de l’amour de Dieu » (dixit un ami prêtre) ont amené des responsables, prêtres et laïcs, à transgresser sereinement la loi de la non-admission des divorcés remariés au partage eucharistique.

Nous savons à quel point, dans les années 80 et 90 du XXième siècle, des hommes et des femmes ont réellement pris leurs responsabilités dans leurs communautés chrétiennes, à quel point ils/elles ont su être adultes dans leur foi… malgré la remise en ordre impulsée par le Vatican et ses satellites, légionnaires et autres fers de lance de la soi-disant tradition. Non, nous ne nous sommes pas contenté(e)s de quémander, nous avons agi et nous agissons encore ! Sur le seul plan des célébrations, j’aurais bien aimé qu’Anne Soupa et Christine Pedotti partagent la nôtre à Sélestat le 17 octobre, elles y auraient vu que nous savons d’être « majeurs dans la foi », sans crainte… mais peut-être trop discrètement.

De la même manière, je suis très étonnée de ne trouver dans ce livre aucune bibliographie, donc pratiquement aucune référence à des auteurs, théologiens ou non, qui accompagnent depuis longtemps ces « cathos progressistes » (ou réformateurs ?) que nous sommes : Hans Küng est cité une fois, ainsi qu’Albert Rouet, c’est bien peu ! Il ne manque pourtant pas d’ouvrages essentiels qui ont mis en mots justes nos préoccupations et nous ont ouvert de nouveaux horizons. Et où sont aussi les penseurs des autres confessions, chrétiennes ou non, dont le regard sur le catholicisme nous est si précieux ? Il est pourtant certain, compte tenu des parcours de Christine Pedotti et Anne Soupa, qu’elles ont lu, et même beaucoup ! Mais  leur livre pourrait faire croire qu’elles sont les seules à développer une réflexion sur ces questions, ce qui, j’en suis sûre, n’est pas leur intention.

Bref, sans vouloir trop vite généraliser, il me semble que ce que j’ai lu confirme ce qui nous a gênés lors de la création de la CCBF, à l’occasion de la marche du 11 octobre 2009. Nous avions compris que nous ne pouvions y participer qu’en tant que personnes individuelles, pas en tant que groupes ou communautés constitués. Toujours cette impression d’une volonté de faire table rase…

Alors ? Puisque nous sommes invités par le message d’Espérance des Réseaux du Parvis, à « porter à la lumière ce qui est en train de naître », je souhaite que mes réflexions ne soient pas perçues comme un jugement, mais comme un éclairage. Le choix de la CCBF de se situer résolument dans l’église catholique est légitime, je me réjouirai avec beaucoup d’autres de tout ce qu’elle pourra faire avancer concrètement pour que l’Évangile soit mieux annoncé par les catholiques, mais je suis certaine que cela implique aussi un travail en contact permanent avec tous les autres acteurs (et penseurs) de ce renouveau si nécessaire. Nous avons compris et expérimenté sur les Parvis l’exigence et la richesse de ces rencontres qui permettent de construire ensemble sans viser une fusion illusoire.

Et en tout cas, merci à Anne Soupa et Christine Pedotti d’ouvrir ainsi une nouvelle porte dans la citadelle Église : plus il y a de portes ouvertes, plus il y a de courants d’air et plus le Vent pourra souffler, du parvis au chœur !

Marie-Anne Jehl