Conférence mondiale sur le développement durable : Après Rio + 20

Rio contre Rio+20 : 0 à 0 ?

Par Dominique Mourlane

Rio vient de voir se dérouler le sommet de la Terre, 20 ans après le premier qui se tenait lui aussi à… Rio, ainsi va Rio + 20 (1992 – 2012). En terme de présence, ce sommet a vu une redoutable augmentation du nombre de présents, passant de 110 à 130 chefs d’États et de 2 500 à plus de 50 000 participants entre 1992 et 2012. Notons au passage l’absence des plus gros pollueurs : États-Unis, Allemagne, Russie, Angleterre.

Mais est-ce là l’essentiel ? Que recouvrent ces sommets dans le concret ?

Le sommet de Rio avait acquis 5 grands axes :

– La Charte de la Terre ou déclaration sur l’environnement et le développement, qui énonce les principes de gestion responsable des ressources. Ce texte sans contraintes est la pierre angulaire des sommets de la Terre et influence l’ensemble des autres orientations.
Si ses résultats au niveau planétaires ne se font pas toujours sentir, nous pouvons déjà constater qu’en France il a abouti à une modification de notre constitution en institutionnalisant le principe de précaution. (2005 loi Barnier). Pour quels effets ? La route est encore longue !

– La déclaration sur la forêt. Ce texte reconnaît aux États le droit d’exploiter les forêts à condition que ce soit fait d’une manière écologiquement viable, dans l’intérêt des générations futures et sous réserve que cette exploitation ne génère pas de dommages à d’autres États.
Nous pouvons constater un ralentissement du déboisement au niveau international passant de 16 millions d’ha/an en 1990 à 13 millions dans les années 2000. Il est aussi nécessaire de reconnaître que le projet Yasuni ITT en Amazonie transforme les esprits. Sous l’impulsion de la société civile équatorienne, le président Rafael Correa a décidé de laisser sous terre quelque 920 millions de barils de pétrole pour éviter l’émission de 410 millions de tonnes de CO2. Dans cet échange qui préserve en outre la faune et la flore de cette partie de l’Amazonie riche en biodiversité, il est demandé une contribution financière aux pays qui polluent le plus, estimant ce montant à la moitié des ressources financières que l’Équateur aurait pu gagner en exploitant ce pétrole. C’est un excellent moyen de faire reconnaître la dette écologique historique.

– La Convention sur la biodiversité biologique. Il faut admettre que cette convention qui reconnaît aux États la propriété de leurs ressources biologiques, a permis d’étendre les espaces protégés, les faisant passer de 8 millions de km2 en 1980 à 16 millions en 2000. C’est également cette convention qui a permis la création du Protocole de Carthagène en 1998 qui entre autres permet de limiter l’introduction des OGM en le présentant auprès de l’OMC. De même cette convention a permis la signature du protocole de Nagoya en 2010 qui garantit un meilleur accès aux ressources génétiques avec un partage plus équitable des avantages de leur utilisation.

La convention climat. Afin de prévenir un dérèglement du climat, cette convention a pour objectif de stabiliser la concentration des gaz à effets de serre (GES) dans l’atmosphère.
Elle s’appuie sur les travaux du groupe international d’expert sur le climat (GIEC). Elle a donné naissance au protocole de Kyoto (1997) qui a vu des pays, dont l’Europe, s’imposer des objectifs chiffrés… Ces objectifs ont été prolongés en 2011 à Durban, sans l’accord des principaux émetteurs de GES (États-Unis, Chine, Russie, Canada et Japon). L’émergence d’une prise de conscience ne s’accompagne pas toujours d’une mise en application nécessaire.

L’agenda 21 doit permettre de développer le développement durable au niveau local. Dans un cadre démocratique invitant les populations locales à s’inscrire dans les schémas proposés sont traités les sujets tels la gestion des substances chimiques, la gestion des ressources en eaux, la désertification, la protection des océans, la pollution de l’air, la pauvreté, la santé,… L’agenda 21 a suscité beaucoup d’engouements et permis de donner le jour au programme REACH (Enregistrement, évaluation et autorisation des produits chimiques — en anglais : registration, evaluation and authorisation of chemicals) Certains objectifs sont atteignables à ce jour, comme de réduire de moitié d’ici 2015 la population sans accès à l’eau. Le taux de pauvreté selon les Nations Unies serait passé de 45 % en 1990 à 27 % en 2005. Le développement des énergies renouvelable peut aussi se ranger dans les acquis de l’agenda 21.

Ces 5 grands axes qui tentent de transformer l’état d’esprit général, remplissent quelques succès, mais souvent les États-Unis se désolidarisent de ces initiatives suivies dans leur exemple par la Chine et quelques autres pays fortement industrialisés. Les solutions individuelles, si elles doivent être encouragées, ne peuvent pas se dissocier de volontés politiques fortes. Malheureusement c’est cette volonté que nous ne voyons pas surgir de ces différents sommets de la Terre. L’idée d’une OME (organisation mondiale de l’environnement), à condition qu’elle intègre de manière forte la problématique africaine, peut très bien être un moteur de progrès pour les questions d’environnement, à condition qu’elle s’impose à l’OMC.

Malgré ça les mentalités progressent, car en marge de ce sommet de Rio 2012, les syndicats se sont retrouvés pour affirmer leur « conviction que notre modèle actuel de production et de consommation, guidé par le profit, est source d’inégalités sociales et de dégradation de l’environnement et doit être remplacé si nous voulons garantir un développement réellement durable ». Ils « affirment qu’il est nécessaire de garantir que les biens communs et les ressources naturelles et énergétiques soient et restent de propriété publique et que leur préservation et leur administration soient publiques et sous contrôle social ».
Ils « demandent aux gouvernements de financer avec des fonds publics une recherche scientifique qui contribue à l’objectif de soutenabilité à long terme, construite de façon démocratique et avec la participation de la société. »
Les syndicats « s’engagent à utiliser leur capacité organisationnelle et leur expérience issue des luttes du passé afin de former un mouvement puissant et organisé à l’échelle mondiale, de sorte à veiller à ce que les gouvernements et les entreprises, réticents à agir, prennent les mesures appropriées pour s’attaquer au changement climatique et le stopper. » Ils « s’engagent à renforcer les alliances avec d’autres mouvements sociaux, environnementaux et populaires, avec les femmes, les peuples indigènes, les jeunes, et les chercheurs, en faveur d’un développement durable ».

Une page pourrait bien se tourner là, dans la mesure où les syndicats, au niveau mondial, officialisent l’entrée dans leur gouvernance des questions environnementales.

Reste la question des dirigeants nationaux et le rôle de l’OMC, du FMI et des instances internationales dans ce contexte de plus en plus tendu.
Le résultat de ce sommet de la Terre, via les dirigeants de pays, s’attache plus aux contraintes économiques qu’aux dangers que cette économie fait peser sur notre écosystème entrainant ainsi de simples effets déclaratifs.
Le texte final ne trace aucune route, n’a aucune ambition pour résoudre les défis que le monde rencontre et prend au final la décision… de laisser les décisions se prendre plus tard.
Les intérêts de classe auront été très présents à Rio aussi cette année puisqu’un désaccord persiste entre la quasi-totalité des pays développés et les pays industrialisés sur le maintien dans le texte de la référence au principe de “responsabilités communes mais différenciées”, lancé au sommet de la Terre de 1992, qui fait peser une moindre pression sur les pays en développement.
On voit là que les intérêts de groupes particuliers vont à l’encontre des intérêts communs.
Il faudra beaucoup d’autres sommets de la Terre et une pression populaire beaucoup plus forte pour que l’avenir de la Terre soit pris en considération par nos dirigeants, qui pour l’instant se laissent convaincre par les intérêts économiques. La proximité du G20 et les priorités données au “sauvetage de la finance mondiale ainsi qu’au marché” laissent peu de chance pour que l’environnement soit pris en compte et le signal envoyé depuis Los Cabos au Mexique en direction de Rio au Brésil ne laisse rien augurer de bon dans ce sens, surtout compte tenu de la déclaration finale qui oublie toute ambition environnementale.
Bien qu’il soit déjà trop tard et même dans cette situation catastrophique où les grands élus de ce monde se détournent du sommet de la Terre, il faut encore et encore œuvrer pour l’avenir de notre Terre et pour celle de nos enfants.

Dominique Mourlane

co-responsable de la commission

Développement écologique et social de l’UFAL

22 juin 2012

 

Les défis de Rio+20

Par Ignacio Ramonet

Le Brésil accueille à Rio de Janeiro, du 20 au 22 juin, la Conférence mondiale des Nations unies sur le développement durable, également appelée “Rio+20″ parce qu’elle a lieu – au même endroit – vingt ans après le premier grand Sommet de la Terre de 1992. Plus de 80 chefs d’Etat et de gouvernement y sont attendus. Les discussions porteront principalement sur deux sujets centraux : 1) une “économie verte” dans le contexte du développement durable et l’éradication de la pauvreté ; 2) le cadre institutionnel du développement durable. Parallèlement à la Conférence officielle, un grand Sommet des peuples rassemblera de milliers de mouvements sociaux et d’organisations écologistes du monde.

Les questions environnementales et les périls liés au changement climatique continuent de figurer parmi les principales urgences de l’agenda international [1]. C’est une réalité. Même si elle paraît occultée, en Europe et en ce moment, par la gravité de la crise économique, financière et sociale.

L’eurozone connaît, en effet, une période de très grandes difficultés en raison de l’échec manifeste des politiques d’austérité. Plusieurs pays de l’Union européenne (UE) sont en récession, avec un chômage en forte augmentation et de dramatiques tensions financières. L’Espagne, en particulier, traverse son moment le plus critique depuis 2008 et la chute de la banque Lehman Brothers. Ce pays est devenu, après la Grèce, le “maillon faible” de l’euro. Les capitaux le fuient désormais massivement. La prime de risque (l’écart entre les taux des obligations à 10 ans de l’Allemagne et de l’Espagne) a atteint les niveaux les plus élevés depuis la création de la monnaie unique, menaçant de contraindre Madrid à demander (comme la Grèce, l’Irlande et le Portugal) une aide extérieure. Enfin, les craintes les plus vives s’expriment à propos de la fiabilité du système bancaire espagnol après la scandaleuse banqueroute-nationalisation de Bankia, quatrième établissement financier du pays par le nombre d’actifs.

Le pessimisme se répand donc en Europe. L’économiste américain Paul Krugman, Prix Nobel, a jeté de l’huile sur le feu, le mois dernier, lorsqu’il a prédit que, “fort probablement” la Grèce quittera l’euro durant ce mois de juin… [2]. Un abandon de l’euro par Athènes pourrait entrainer, par effet domino, une fuite de capitaux des autres pays menacés (Irlande, Portugal, Espagne, Italie, Belgique), et une ruée massive des particuliers vers les guichets bancaires (bank run) pour retirer leurs dépôts. Selon Krugman, il n’est pas impossible que, pour éviter cela, des pays comme l’Espagne et l’Italie en viennent bientôt à décréter – comme le fit l’Argentine en 2001 – la limitation du montant des retraits bancaires que pourraient effectuer les particuliers.

L’euro tiendra-t-il ? S’effondrera-t-il ? Ces questions préoccupent de nombreux citoyens qui suivent avec expectation, le calendrier électoral européen : élections législatives françaises du 10 et 17 juin ; et élections parlementaires grecques ce même 17 juin. Mais aussi, le sommet de Bruxelles des 28 et 29 juin qui décidera peut-être si l’UE poursuit le sentier allemand de l’austérité jusqu’à la mort, ou si elle s’engage sur la voie française de la croissance et du redémarrage. Dilemme vital.

Malgré leur dramatisme, ces questions ne doivent cependant pas nous faire oublier que, à l’échelle de la planète, il y a d’autres dilemmes non moins décisifs. Et le premier d’entre eux est le désastre climatique dont il sera question à Rio de Janeiro. Rappelons que, en 2010, le changement climatique a été à l’origine de 90% des catastrophes naturelles qui ont provoqué le décès de quelque 300 000 personnes et des dégâts économiques estimés à plus de cent milliards d’euros…

Autre préoccupation : en Europe, les citoyens réclament, à juste titre, davantage de croissance pour sortir de la crise. Mais à Rio, les écologistes ne manqueront pas d’avertir que la croissance – si elle n’est pas durable – signifie toujours une plus grande détérioration de l’environnement et un plus grand danger d’épuisement des ressources limitées de notre planète…

Des dirigeants mondiaux, ainsi que des milliers de représentants des gouvernements, d’entreprises privées, d’ONG, de mouvements sociaux et autres groupes de la société civile, se réunissent donc à Rio pour définir précisément un agenda global qui garantisse la protection durable de l’environnement, et aussi pour réduire la pauvreté et promouvoir l’égalité sociale. Le débat principal portera sur le concept d’”économie verte” que défendent les représentants du néolibéralisme, opposé à celui d’ “économie solidaire” promu par les mouvements engagés dans le dépassement du modèle actuel de “développement prédateur”, fondé sur l’accumulation privée de la richesse.

Les pays riches viennent à Rio avec cette proposition principale d’une “économie verte“. Un concept piège qui se borne à désigner, le plus souvent, un simple camouflage vert de l’économie pure et dure de toujours. Un “verdissement”, en somme, du capitalisme spéculatif. Le marché étendu, sans limite, à la Nature. Ces pays veulent que la Conférence Rio+20 leur accorde un mandat des Nations unies pour commencer à définir, à l’échelle planétaire, une série d’indicateurs de mesure pour évaluer économiquement les différentes fonctions de la nature, et créer ainsi les bases d’un marché mondial des services environnementaux.

Cette “économie verte” souhaite non seulement la mercantilisation de la partie matérielle de la nature, mais aussi la mercantilisation des procès et fonctions de la nature. En d’autres termes, l’ “économie verte”, comme l’affirme l’activiste bolivien Pablo Solon, cherche non seulement à marchandiser le bois des forêts, mais à marchandiser également la capacité d’absorption de CO2 de ces mêmes forêts [3].

Son objectif principal est de créer, par le truchement de l’investissement privé, un marché de l’eau, de l’environnement, des océans, de la biodiversité, etc. En attribuant une valeur marchande à chaque élément de la nature dans le but de garantir les profits des investisseurs privés. De sorte que l’ “économie verte”, au lieu de créer des produits réels, construira un nouveau marché immatériel de bons et d’instruments financiers qui se négocieront à travers les banques. Ce même système bancaire, coupable de la crise financière actuelle, qui a reçu des dizaines de milliards d’euros d’aide des Etats, disposerait ainsi, à loisir, de Mère Nature pour continuer à spéculer et à réaliser de nouveaux profits.

Devant de telles positions, la société civile organise en parallèle à Rio, un gigantesque Sommet des peuples. Elle y présentera des solutions de rechange pour défendre les “biens communs de l’humanité”. Produits par la nature et par des groupes humains, à l’échelle locale, nationale ou globale, ces biens doivent appartenir à la collectivité. En font partie : l’air et l’atmosphère, l’eau, les rivières, les lacs et les océans, les terres communales ou ancestrales, les semences, la biodiversité, les parcs naturels, les langues, le paysage, la mémoire, Internet, l’information génétique, etc. L’eau douce est déjà acceptée, un peu partout, comme le “bien commun” par excellence, et les luttes contre sa privatisation, dans plusieurs Etats, ont rencontré des succès.

Une autre idée défendue par le Sommet des peuples est celle d’une transition graduelle entre une civilisation anthropocentrique et une “civilisation biocentrique“, centrée sur la vie, ce qui suppose la reconnaissance des droits de la Nature et la redéfinition du “bien vivre” et du bonheur de sorte que ces deux notions ne dépendent pas de la croissance économique infinie. Défense aussi de la souveraineté alimentaire. Chaque communauté doit pouvoir contrôler la nourriture qu’elle produit et consomme, rapprochant consommateurs et paysans, défendant une agriculture de terroir et bannissant la spéculation sur les aliments.

Enfin, le Sommet des peuples affirme également, entre autres : son désir d’un vaste programme de “consommation responsable” fondée sur une éthique du partage ; sa préoccupation à propos de l’obsolescence artificielle des produits ; sa préférence pour des biens produits par l’économie sociale et solidaire basée sur le travail et non sur le capital ; et son refus de tout produit réalisé par du travail esclave [4].

La Conférence Rio+20 offre ainsi l’occasion aux mouvements sociaux du monde de réaffirmer leur lutte en faveur d’une justice environnementale par opposition au modèle de développement spéculatif. Et sa méfiance à l’égard de la tentative de “verdir” le capitalisme. D’après ces mouvements, l’ “économie verte” n’est pas la solution à la crise environnementale et alimentaire actuelle. Au contraire. Il s’agit d’une “fausse solution” qui pourrait aggraver le problème de la marchandisation de la vie [5]. En somme, un nouveau déguisement du système. Alors que les citoyens en ont assez des déguisements. Et du système.

Ignacio Ramonet

Chronique du mois – 1er juin 2012