Gagner la bombe

                    mais

      perdre le christianisme

 

 

                                Jean-Marie MULLER*

 

Dans son discours prononcé le 10 novembre 2017 lors de la conférence pour un désarmement intégral, le pape François a  exprimé un vif sentiment d’inquiétude en considérant les conséquences humanitaires et environnementales catastrophiques qui découleraient de tout usage des armes nucléaires. C’est pourquoi, a-t-il précisé, « il faut condamner fermement la menace de leur usage, ainsi que leur possession (c’est moi qui souligne). » Cette condamnation de la « possession » des armes nucléaires est décisive, car elle invite chaque Etat à renoncer unilatéralement à la dissuasion nucléaire.

Pour sa part, le gouvernement français a décidé de maintenir et de moderniser à grands renforts de milliards d’euros les différentes composantes de la dissuasion nucléaire qui est censée fonder la défense de la France. Dans un tel contexte, les récents propos de l’évêque de Rome condamnant la « possession » des armes nucléaires invitent les évêques français – eux tout particulièrement – à exiger le désarmement nucléaire unilatéral de la France.

Une déclaration publique de la Conférence épiscopale française condamnant la possession par la France des armes nucléaires serait un événement majeur. Elle constituerait l’irruption de l’Evangile dans une société matérialiste dépourvue de toute éthique, elle bousculerait tous les dogmes politiques établis. Cette prise de position éthique et politique aurait l’effet d’une véritable conflagration

Jusqu’à présent, les évêques français ont gardé le silence en s’abstenant de toute déclaration. Mais il ne faut pas s’y tromper, ce silence vaut approbation. Se taire c’est déjà nier et renier l’Evangile. Il existe en effet une contradiction radicale, irréductible entre les contraintes de la dissuasion nucléaire et les exigences du christianisme. Aucune coexistence n’est possible. La bombe, par sa seule existence, nie toutes les valeurs éthiques et spirituelles enseignées par la christianisme qui, au demeurant, sont des valeurs universelles. Celui-ci disparaît sous les effets de la bombe. Les sermons deviennent dérisoires, les exhortations inaudibles, les méditations inconvenantes. Gagner la bombe, c’est perdre le christianisme. Cette perte n’atteint pas seulement la communauté chrétienne. C’est toute la société qui se trouve affaiblie dans ses capacités de résister à l’inhumain.

 Selon Jean Lurçat, c’est seulement lorsque les hommes auront eu la sagesse de libérer la terre de l’arme nucléaire qu’il sera possible de célébrer la vie et de chanter le monde : “Ce Chant du Monde ne sera plausible, possible, le monde n’osera aborder le Chant, que lorsque la Grande Menace de cette immense, immonde pustule de la Bombe, sera, d’un commun accord, arraché de la chair des hommes.”.

D’aucuns, probablement, voudront faire prévaloir l’idée que j’exagérais. Mais c’est une idée fausse. Face au mal nucléaire, comment serait-il possible d’exagérer dans le refus ?

Par ailleurs, il me sera certainement reproché de faire preuve d’intolérance. Mais face à l’intolérable de l’arme nucléaire, nous sommes conviés à nous prévaloir de la rudesse de l’inflexibilité. La tolérance est déjà une trahison et l’exigence éthique nous invite à pratiquer la vertu d’intolérance.

Ceci étant, il ne convient pas d’enfermer l’avenir dans une fatalité. Ces mêmes évêques qui se taisent aujourd’hui peuvent oser prendre la parole demain. L’espérance est fragile mais encore possible.

* Philosophe et écrivain, Jean-Marie Muller est membre-fondateur du Mouvement pour une Alternative Non-violente.

Dernier ouvrage paru : La violence juste n’existe pas, Oser la non-violence, Le Relié.

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