Discours du pape aux participants de la Rencontre mondiale des mouvements populaires

 

La Rencontre mondiale des mouvements populaires s’est tenue au Vatican du 27 au 29 octobre 2014. Lors de sa rencontre avec les participants le 28, le pape a prononcé un discours  dont vous trouverez ci-après la version intégrale traduite de l’italien.

Encore une fois, bonjour,

je suis heureux d’être parmi vous, d’ailleurs, je vais vous faire une confidence : c’est la première fois que je viens ici, je n’y étais jamais venu. Comme je vous le disais, j’éprouve une grande joie et je vous souhaite chaleureusement la bienvenue.

Merci d’avoir accepté cette invitation pour débattre des nombreux graves problèmes sociaux qui affligent le monde d’aujourd’hui, vous qui vivez l’inégalité et l’exclusion dans votre propre chair. Merci au Cardinal Turkson pour son hospitalité, merci, Éminence, pour votre travail et vos paroles.

Cette rencontre des mouvements populaires est un signe, un grand signe : vous êtes venus mettre en présence de Dieu, de l’Eglise, des peuples, une réalité qui est souvent passée sous silence. Les pauvres ne subissent pas seulement l’injustice mais ils luttent aussi contre elle !

Ils ne se contentent pas de promesses illusoires, d’excuses ou d’alibis. Ils n’atpape-photo_discours_mouvements populairestendent pas non plus, les bras croisés, l’aide des ONG, des plans d’aide ou des solutions qui ne viennent jamais ou, si elles viennent, arrivent de telle façon qu’elles vont dans un sens qui est d’anesthésier ou de domestiquer, c’est plutôt dangereux. Vous sentez que les pauvres n’attendront plus et exigent d’être des protagonistes ; ils s’organisent, étudient, travaillent, réclament et, surtout, pratiquent cette solidarité très spéciale qui existe entre ceux qui souffrent, entre les pauvres, et que notre civilisation semble avoir oubliée, ou au moins a très envie d’oublier.

La solidarité est un mot qui ne plait pas toujours ; je dirais que parfois nous l’avons transformé en un « gros mot » à ne pas utiliser. Cependant, c’est un mot qui signifie beaucoup plus que quelques actes de générosité sporadiques. C’est penser et agir en termes de communauté, de priorité de la vie de tous contre l’appropriation des biens par quelques-uns. C’est également lutter contre les causes structurelles de la pauvreté, l’inégalité, le manque de travail, de terre et de logement, le déni des droits sociaux et du travail. C’est affronter les effets destructeurs de l’empire de l’argent : les déplacements forcés, les émigrations douloureuses, le trafic des personnes, la drogue, la guerre, la violence et toutes ces réalités que beaucoup d’entre vous subissent et que nous sommes tous appelés à transformer. Solidarité, entendue dans son sens le plus profond, est une manière de faire l’histoire, et c’est cela que font les mouvements populaires.

Notre rencontre ne répond pas à une idéologie. Vous ne travaillez pas avec des idées, vous travaillez avec des réalités comme celles que j’ai mentionnées et bien d’autres dont vous m’avez parlé. Vous avez les pieds dans la boue et les mains dans la chair. Vous sentez le quartier, le peuple, la lutte ! Nous voulons que votre voix qui en général est peu  entendue, soit entendue. Peut-être parce qu’elle dérange, peut-être parce que votre cri gêne, peut-être parce qu’on a peur du changement que vous exigez, mais, sans votre présence, sans aller vraiment aux périphéries, les bonnes propositions et les bons plans dont nous entendons souvent parler dans les conférences internationales restent dans le domaine de l’idée, c’est « mon » plan.

On ne peut affronter le scandale de la pauvreté en promouvant des stratégies de limitation qui se contentent seulement de tranquilliser et de transformer les pauvres en êtres domestiqués et inoffensifs. Quelle tristesse de voir que, derrière l’allégation d’œuvres altruistes, on réduit l’autre à la passivité, on le dénie, ou, pire encore, que se cachent des entreprises et des ambitions personnelles. Jésus les appellerait hypocrites. Quel beau changement que de voir les peuples en mouvement, en particulier leurs membres les plus pauvres et les jeunes. Alors, oui, on sent le vent de la promesse qui ravive l’espoir d’un monde meilleur. Mon désir est que ce vent se transforme en un ouragan d’espérance.

Notre rencontre répond à un désir très concret, quelque chose que tout père, toute mère veut pour ses propres enfants ; un désir qui devrait être à la portée de tous,  mais qu’aujourd’hui, nous voyons avec tristesse de plus en plus éloigné pour la majorité des gens : une terre, un toit et un travail. C’est étrange, mais si j’en parle, certains disent que le Pape est communiste. Ils ne comprennent pas que l’amour des pauvres est au cœur de l’Evangile. Une  terre, un toit et un travail, ce pourquoi vous luttez, sont des droits sacrés. Exiger cela n’est pas du tout étrange, c’est la doctrine sociale de l’Eglise. Je vais m’arrêter un peu sur chacun d’eux, parce que vous les avez choisis comme devise pour cette rencontre.

 

Terre. Au début de la création, Dieu a créé l’homme, gardien de son œuvre, le chargeant de la cultiver et de la protéger. Je vois qu’il y a ici des dizaines de paysans et de paysannes et je me félicite avec eux parce qu’ils protègent la terre, la cultivent et le font en communauté. Je suis préoccupé par le déracinement de tant de frères paysans qui souffrent pour cela, et non pas à cause de guerres ou de catastrophes naturelles. L’accaparement des terres, la déforestation, l’appropriation de l’eau, les pesticides inadéquats sont quelques-uns des maux qui arrachent l’homme à sa terre natale. Cette séparation douloureuse n’est pas seulement physique, mais aussi existentielle et spirituelle, car il existe une relation avec la terre qui met la communauté rurale et son mode de vie particulier en déclin notoire et même en danger d’extinction.

L’autre dimension du processus global actuel est la faim. Lorsque la spéculation financière conditionne le prix des aliments, en les traitant comme n’importe quelle marchandise, des millions de personnes souffrent et meurent de faim. Par ailleurs, des tonnes de nourriture sont jetées. Ceci est un véritable scandale. La faim est un crime, l’alimentation est un droit inaliénable. Je sais que certains d’entre vous appellent à une réforme agraire pour résoudre certains de ces problèmes, et laissez-moi vous dire que dans certains pays, et ici je cite le Compendium de la Doctrine sociale de l’Église, « la réforme agraire devient donc, outre, une nécessité politique, une obligation morale »(CSDC, 300).

Je ne suis pas le seul à le dire, c’est dans le Compendium de la Doctrine sociale de l’Eglise. S’il vous plaît, continuez la lutte pour la dignité de la famille rurale, pour l’eau, pour la vie et pour que chacun puisse bénéficier des fruits de la terre.

Deuxièmement, un toit. Je l’ai dit et je le répète : un toit pour chaque famille. Nous ne devons jamais oublier que Jésus est né dans une étable, parce qu’il n’y avait pas de place où le loger ; que sa famille a dû quitter sa propre maison et fuir en Egypte, persécutée par Hérode. Aujourd’hui, il y a beaucoup de familles sans toit, soit parce qu’elles n’en ont jamais eu soit parce qu’elles l’ont perdu pour diverses raisons. Famille et logement vont de pair. Mais pour qu’un toit soit une maison, il doit avoir une dimension communautaire : c’est en fait dans le quartier que la grande famille de l’humanité commence à se construire, à partir du plus proche, de la vie en commun avec ses voisins. Aujourd’hui, nous vivons dans de grandes villes qui se montrent modernes, fières et même vaniteuses. Des villes qui offrent d’innombrables plaisirs et du bien-être pour une minorité heureuse, mais qui refusent un toit à des milliers de nos voisins et frères, y compris des enfants, et que nous appelons avec élégance, « les personnes sans domicile fixe ». Il est curieux de voir comment dans le monde des injustices, abondent les euphémismes. On n’utilise pas des mots précis, on traduit la réalité par un euphémisme. Une personne, une personne ségréguée, une personne mise de côté, une personne souffrant de la misère, de la faim, est une personne sans domicile fixe : une expression élégante, non ? Vous devez toujours chercher – je pourrais me tromper dans quelques cas – mais en général, derrière un euphémisme, il y a un délit.

Nous vivons dans des villes qui construisent des tours, des centres commerciaux, s’engagent dans des affaires immobilières, mais elles abandonnent une partie d’elles-mêmes en marge, dans les périphéries. Qu’il est pénible d’entendre que les quartiers pauvres sont marginalisés, ou, pire encore, qu’on veut les éradiquer ! Cruelles sont les images des déplacements forcés, des bulldozers démolissant les baraques, images semblables à des images de guerre. Et nous en sommes témoins aujourd’hui.

Vous savez que dans la plupart des quartiers populaires où vivent beaucoup d’entre vous subsistent des valeurs qui sont aujourd’hui oubliées dans les centres enrichis. Ces habitats sont des lieus bénis avec leur riche culture populaire : là l’espace public est non seulement un lieu de passage, mais une extension de sa propre maison, un lieu où des liens peuvent se former avec le voisinage. Comme elles sont belles ces villes qui surmontent la méfiance maladive et qui intègrent ceux qui sont différents et font de cette intégration un nouveau facteur de développement. Comme elles sont belles ces villes qui, dans leur conception architecturale même, sont pleines d’espaces qui unissent, relient et favorisent la reconnaissance de l’autre ! Donc, ni déracinement ni marginalisation : nous devons suivre la ligne de l’intégration urbaine ! Ce mot doit, désormais, remplacer totalement le mot de déracinement, mais aussi ces projets qui prétendent revernir les quartiers pauvres, embellir les périphéries et « maquiller » les plaies sociales au lieu de les guérir par la promotion d’une intégration authentique et respectueuse. C’est une sorte d’architecture de façade, non? Et cela va ainsi dans cette direction. Continuons à travailler pour que toutes les familles aient un logement et que tous les quartiers aient une infrastructure adéquate (tout-à-l’égout,  lumière, gaz, asphalte et je continue : écoles, hôpitaux, salles de premiers soins, clubs sportifs et toutes les choses qui créent les liens et unissent, accès aux soins de santé – je l’ai déjà dit –  à l’éducation et à la sécurité des bien).

Troisièmement, un travail. Il n’y a pas de pauvreté matérielle pire – je tiens à le souligner – il n’y a pas de pauvreté matérielle pire que celle qui ne permet pas de gagner son pain et prive quelqu’un de la dignité du travail. Le chômage des jeunes, le travail informel et le manque de droits des travailleurs ne sont pas inévitables, ils résultent d’une option sociale antérieure, d’un système économique qui place le profit au-dessus de l’homme ; si le profit est économique, le mettre au-dessus de l’humanité ou au-dessus de l’homme, c’est l’effet d’une culture du déchet qui considère l’être humain en lui-même comme un bien de consommation, qui peut être utilisé et ensuite jeté.

Aujourd’hui, ajoutée au phénomène de l’exploitation et de l’oppression, il y a une nouvelle dimension dure de l’injustice sociale ; ceux qui ne peuvent pas s’intégrer, les exclus sont mis au rebus, considérés comme « en surplus ». Ceci est la culture du déchet et je voudrais développer ce sujet, bien que je ne l’aie pas écrit, mais je viens de m’en souvenir maintenant. Cela se produit lorsque le centre d’un système économique est le dieu de l’argent, et non pas l’homme, la personne humaine. Oui, au centre de tout système social ou économique doit être placée la personne, image de Dieu, créée pour être le dénominateur de l’univers. Lorsque la personne est déplacée et qu’arrive à sa place le dieu de l’argent, il y a cette inversion des valeurs.

Et, pour le rendre imagé, je me souviens d’un enseignement de l’année 1200 environ. Un rabbin juif expliquait à ses fidèles l’histoire de la tour de Babel, et alors il racontait que pour construire cette tour de Babel, beaucoup d’efforts étaient nécessaires; il fallait fabriquer les briques, et pour faire les briques il fallait avoir de la boue et apporter de la paille, et pétrir la boue avec de la paille, puis la découper en carrés, puis la sécher, puis la faire cuire, et lorsque les briques étaient cuites et froides, les prendre pour construire la tour.

Si une brique tombait – une brique revenait très cher étant donné tout ce travail – c’était presque une tragédie nationale. Celui qui l’avait laissée tomber était puni ou chassé, ou je ne sais pas ce qu’on lui faisait, mais si un travailleur tombait, rien ne se passait. C’est ce qui arrive lorsque la personne est au service du dieu de l’argent, et cette histoire était racontée par un rabbin juif, en l’an 1200, expliquant ces choses terribles.

Et en ce qui concerne le rejet, il faut aussi faire attention à ce qui se passe dans notre société. Je répète des choses que j’ai dites, qui sont dans Evangelii Gaudium. Aujourd’hui, des enfants sont éliminés parce que le taux de natalité dans de nombreux pays sur terre a diminué, ou par manque de nourriture ou parce qu’ils se trouvent tués avant d’être nés.

On se débarrasse des personnes âgées, parce qu’elles sont inutiles, elles ne produisent pas, ni les enfants ni les personnes âgées ne produisent, alors, avec des systèmes plus ou moins sophistiqués, elles sont lentement abandonnées et maintenant, comme dans cette crise, il est nécessaire de récupérer un certain équilibre, nous assistons à un troisième rejet très douloureux : l’abandon des jeunes. Des millions de jeunes – je ne veux pas donner un chiffre, parce que je ne le connais pas exactement et celui que j‘ai lu me semble un peu exagéré – des millions de jeunes sont rejetés du travail, chômeurs.

Dans les pays d’Europe, et ce sont des statistiques très claires, ici en Italie, un peu plus de 40% des jeunes sont chômeurs; vous savez ce que signifie 40% des jeunes – toute une génération, l’annulation de toute une génération pour maintenir l’équilibre. Dans un autre pays européen, c’est plus de 50% et dans ce pays avec 50%, dans le sud c’est 60%,. Ce sont des chiffres clairs, à savoir du rebut. Rejet des enfants, des personnes âgées, qui ne produisent pas et nous devons sacrifier une génération de jeunes gens, les déchets de jeunes, pour être en mesure de maintenir et de remettre d’aplomb un système au centre duquel est placé le dieu de l’argent et non la personne humaine.

Malgré cette culture du déchet, cette culture des surplus, beaucoup d’entre vous, travailleurs exclus, les surplus de ce système, vous avez inventé votre propre travail avec tout ce qui semblait ne plus pouvoir être utilisé mais vous, avec votre savoir-faire artisanal que Dieu vous a donné, avec votre quête, avec votre solidarité, avec votre travail communautaire, avec votre économie populaire, vous avez réussi et vous êtes en train de réussir. Et permettez-moi de vous le dire, en plus du travail, c’est de la poésie ! Merci.

Désormais, chaque travailleur, qu’il soit plus ou moins dans le système formel du travail salarié, a droit à une rémunération convenable, à la sécurité sociale et à la couverture de la retraite. Ici, il y a les cartoneros, les recycleurs, les marchands ambulants, les tailleurs, les artisans, les pêcheurs, les paysans, les maçons, les mineurs, les ouvriers d’entreprises récupérées, les membres de coopératives de tous types et les personnes occupant des emplois les plus communs, qui sont exclus des droits des travailleurs, qui se voient refuser la possibilité d’avoir un syndicat, qui n’ont pas de revenu suffisant et stable. Aujourd’hui, je veux joindre ma voix à la leur et les accompagner dans la lutte.

Au cours de cette rencontre, vous avez également parlé de Paix et d’Ecologie. C’est logique: il ne peut pas y avoir de terre, il ne peut y avoir de toit, il ne peut y avoir de travail si nous n’avons pas la paix et si nous détruisons la planète. Ce sont des sujets si importants que les peuples et leurs organisations de base ne peuvent manquer d’en débattre. Ils ne peuvent pas rester uniquement dans les mains des dirigeants politiques. Tous les peuples de la terre, tous les hommes et femmes de bonne volonté, nous devons tous élever notre voix pour la défense de ces deux dons précieux : la paix et la nature. La sœur Terre Mère, comme l’a appelée Saint François d’Assise.

J’ai dit il y a peu, et je le répète, que nous sommes en train de vivre la troisième guerre mondiale, mais par morceaux. Il existe des systèmes économiques qui doivent faire la guerre pour survivre. Alors on fabrique et on vend des armes et avec cela, les bilans des économies qui sacrifient l’homme aux pieds de l’idole de l’argent, deviennent évidemment assainis. On ne pense pas aux enfants souffrant affamés dans les camps de réfugiés, on ne pense pas aux déplacements forcés on ne pense pas aux maisons détruites; on ne pense pas non plus à tant de vies détruites. Combien de souffrance, combien de destruction, combien de douleur ! Aujourd’hui, chères sœurs et chers frères, le cri de la paix s’élève dans chaque région de la terre, dans chaque peuple, dans chaque cœur et dans les mouvements populaires : Plus jamais la guerre !

Un système économique centré sur le dieu de l’argent a aussi besoin de saccager la nature, de saccager la nature pour soutenir le rythme effréné de consommation qui lui est inhérent. Le changement climatique, la perte de la biodiversité, la déforestation montrent déjà leurs effets dévastateurs dans les grands cataclysmes dont nous sommes témoins, et dont vous êtes ceux qui souffrent le plus, les humbles, vous qui vivez près des côtes dans des logements précaires ou qui êtes très vulnérables économiquement au risque de tout perdre face à une catastrophe naturelle. Frères et sœurs : la création n’est pas une propriété, dont nous pouvons disposer selon notre plaisir ; et c’est encore moins la propriété de certains, de quelques-uns. La création est un don, elle est un cadeau, un don merveilleux que Dieu nous a fait pour que nous en prenions soin et l’utilisions pour le bénéfice de tous, toujours avec respect et gratitude. Peut-être savez-vous que je prépare une encyclique sur l’écologie : soyez certains que vos préoccupations y seront présentes. Je vous remercie, je profite de l’occasion pour vous remercier de la lettre que m’ont fait parvenir à ce sujet les membres de Via Campesina, la Fédération des Cartoneros et tant d’autres frères.

Nous parlons de la terre, d’un travail, d’un toit. Nous parlons de travailler pour la paix et de prendre soin de la nature. Pourquoi alors nous habituons-nous à voir comment le travail digne se détruit, comment beaucoup de familles sont expulsées, comment les paysans sont chassés, comment la guerre est engagée et la nature victime de violence ? Parce que dans ce système l’homme, la personne humaine a été enlevée du centre et remplacée par quelque chose d’autre. Parce que l’on rend un culte idolâtre à l’argent. Parce que l’on a globalisé l’indifférence ! L’indifférence a été globalisée : pourquoi devrais-je me soucier de ce qui arrive aux autres tant que je peux défendre mon bien propre ? Parce que le monde a oublié Dieu, qui est Père ; il est devenu orphelin parce qu’il a laissé Dieu de côté.

Certains d’entre vous ont dit : on ne peut plus supporter ce système. Nous devons le changer, nous devons remettre la dignité humaine au centre et construire sur ce pilier les structures sociales alternatives dont nous avons besoin. Ce doit être fait avec courage, mais aussi avec intelligence. Avec ténacité, mais sans fanatisme. Avec passion, mais sans violence. Et tous ensemble, abordant les conflits sans y rester piégés, cherchant toujours à résoudre les tensions pour atteindre un niveau plus élevé d’unité, de paix et de justice. Nous, chrétiens, avons quelque chose de très beau, une ligne d’action, un programme, nous pourrions dire révolutionnaire. Je vous recommande vivement de le lire, de lire les Béatitudes qui sont dans le chapitre 5 de Saint Matthieu et 6 de Saint Luc 6 (cf. Matthieu 5, 3 et Luc 6,20) et de lire le passage de Matthieu 25. Je l’ai dit aux jeunes à Rio de Janeiro, avec ces deux choses ils ont le programme d’action.

Je sais que parmi vous il y a des personnes différentes par leurs religions, leurs métiers, leurs idées, leurs cultures, leurs pays, leurs continents. Aujourd’hui vous pratiquez ici la culture de la rencontre, si différente de celle de la xénophobie, de la discrimination et de l’intolérance, dont nous sommes si souvent témoins. Parmi les exclus, il y a cette rencontre des cultures où l’ensemble n’annule pas la particularité, l’ensemble n’annule pas la particularité. Voilà pourquoi j‘aime l’image du polyèdre, une figure géométrique aux multiples visages. Le polyèdre reflète la confluence de toutes les parties qui conservent leur originalité en lui. Rien ne se dissout, rien ne se détruit, rien n’est dominé, tout est intégré, tout est intégré. Aujourd’hui, vous êtes également à la recherche de cette synthèse entre le local et le global. Je sais que vous travaillez jour après jour dans ce qui est proche et concret, dans votre territoire, dans votre quartier, dans votre lieu de travail : je vous invite aussi à poursuivre la recherche de ce point de vue plus large ; puissent vos rêves voler haut et tout embrasser !

Par conséquent, la proposition dont certains d’entre vous m’ont parlé me semble importante, que ces mouvements, ces expériences de solidarité, qui se développent à partir d’en bas, du sous-sol de la planète, confluent, soient plus coordonnées, se rencontrent, comme vous l’avez fait ces jours-ci. Attention, il n’est jamais bon de renfermer un mouvement dans des structures rigides, c’est pourquoi j’ai dit « se rencontrer », et c’est encore moins bon d’essayer de l’absorber, de le diriger ou de le dominer ; les mouvements libres ont leur propre dynamique, mais oui, nous devons essayer de marcher ensemble. Nous sommes dans cette salle, qui est  l’ancienne salle du synode ; maintenant il y en a une nouvelle, et synode veut dire, en fait, « marcher ensemble » : que cela soit un symbole du processus que vous avez lancé et que vous êtes en train de continuer !

Le mouvements populaires expriment le besoin urgent de revitaliser nos démocraties, si souvent détournées par d’innombrables facteurs. Il est impossible d’imaginer un avenir pour la société sans la participation active des grandes majorités et qui dépasse les procédures logiques de la démocratie formelle. La perspective d’un monde de paix et de justice durable nous appelle à surmonter l’assistanat paternaliste ; il exige de nous la création de nouvelles formes de participation qui incluent les mouvements populaires et l’animation des structures gouvernementales locales, nationales et internationales avec ce torrent d’énergie morale qui découle de l’implication des exclus dans la construction d’un destin commun. Et ce, avec un esprit constructif, sans ressentiment, avec amour.

Je vous accompagne de tout mon cœur sur cette route. Disons ensemble avec notre cœur : aucune famille sans logement, aucun paysan sans terre, aucun travailleur sans droits, aucune personne sans la dignité que donne le travail.

Chers frères et sœurs : continuez votre lutte, faites du bien à nous tous. C’est une bénédiction de l’humanité. Je vous laisse en cadeau souvenir, avec ma bénédiction, quelques chapelets fabriqués par des artisans, des cartoneros et des travailleurs de l’économie populaire d’Amérique latine.

Et en vous accompagnant, je prie pour vous, je prie avec vous et je veux demander à Dieu notre Père de vous accompagner et de vous bénir, de vous remplir de son amour et de vous accompagner sur le chemin, vous donnant avec abondance cette force qui nous maintient debout : cette force est l’espérance, l’espérance qui ne déçoit pas. Merci.

Traduction de Lucette Bottinelli