RITE EVANGELIQUE ET ABSENCE DE DIEU

Joseph MOINGT
(« Récit et rite » – cité par Parvis N°34)

« Le langage du récit
permet  à une authentique ritualité chrétienne de donner un autre visage à Dieu. Le récit parle à la troisième personne et il emploie les temps du verbe au passé : deux traits caractéristiques, selon la sémiotique, du langage de l’absence.
Le récit évangélique parle de l’absence de Dieu : « Dieu , nul  ne l’a jamais vu … L’Esprit, nul ne sait d’où il vient ni où il va… Quant à moi, il vous est bon que je m’en aille » (Jn 1,18 ; 3,8 ; 15,7) .

Le rite bâti sur ce récit comme sur le jeu d’une case vide ne peut être  qu’un symbole de l’absence de Dieu :
le culte se doit de la respecter et de la proclamer.

Les  premières célébrations de l’Eucharistie « dans les maisons » (Ac 2,46) – lieux profanes qui ne peuvent pas servir de résidence, comme un temple, à la gloire de Dieu, constituaient l’humble aveu d’une dépossession,
qui n’était pourtant pas une perte. Car l’absence de Dieu n’est pas un non-lieu : « Je reviendrai vous prendre auprès de moi » (Jn 14, 3). C’est le mouvement d’un départ et d’un retour, c’est un passage.

La présence de Dieu advient réellement à travers son absence, mais elle passe, elle  ne fait que passer. Et le rite raconte symboliquement le passage de l’Absent. Il nous dévoile en même temps cette autre absence, de soi-même,
qui est la présence de la mort dans notre corps, et que nous ne pouvons combler qu’en partant sur les traces du Christ,
vers les autres, à la rencontre du Dieu absent.

Pour avoir cette qualité de récit de l’absence, le rite évangélique ne cherche pas à immobiliser le passage de Dieu :
il le laisse passer. Ni à posséder sa présence : il la laisse s’absenter. Il ne prend pas Dieu au lacet de l’être-là ; il ne clôture pas sa puissance ; il le laisse s’en aller, s’en aller aux autres.

Ni chose enfermante, ni geste d’enchantement, le rite évangélique est la rencontre de Dieu dans la rencontre de l’autre
« en mémoire » de celui qui a vécu de se livrer aux autres.

Le lieu de l’Absent, c’est l’autre. C’est ce que nous raconte en figure et en fait le récit évangélique. »