Contribution Synode famille

Questionnaire préparatoire au synode sur la famille

Ce rapport est construit à partir des contributions provenant d’associations membres des Réseaux du Parvis. Il est l’expression d’un peuple de Dieu dispersé, dont l’importance numérique, en comparaison de celui rassemblé dans les paroisses, ne devrait par ailleurs pas être sous-estimée.

La diffusion inhabituelle qui a été faite du questionnaire est saluée. La possibilité donnée aux fidèles de contribuer à la réflexion sur ce qui les concerne au premier chef, et en particulier sur des points de friction importants entre la doctrine traditionnelle et la pratique ordinaire des chrétiens, est lue comme l’intention de prendre en compte les réalités du monde d’aujourd’hui. On veut y voir en particulier des motifs d’espérance pour ceux, fort nombreux mais quasi invisibles dans nos églises, que cette doctrine malmène spécialement : les divorcés remariés et les homosexuels, qui se ressentent « clandestins dans leur propre Eglise ». Mais on déplore aussi une rédaction centrée sur le rappel strict de la loi ecclésiastique, sans prise en compte des situations de vie concrète ni de la pensée et des acquis de la connaissance de notre temps.

Ce sont ces questions qui sont exposées ici.

I- La référence à la nature et la pertinence des lois du Magistère

a) Le concept d’une « loi naturelle », issu de la théologie médiévale occidentale, comme loi définitive, intangible, censée réguler l’agir humain n’est plus acceptable dans la pensée contemporaine.

Il sous-entend un monde statique pouvant être décrit une fois pour toutes par une loi normative, alors que les acquis récents des sciences humaines aussi bien que des sciences exactes démontrent que tout est évolution dans le réel, aucune loi absolument intemporelle ne saurait régir de façon parfaitement exacte et intangible les réalités de la nature et de l’action humaine.

La nature, de façon générale, ne cesse de manifester sa créativité, sa capacité de changement et de nouveauté. L’anthropologie actuelle est sortie du « tout naturel ». Elle soutient que l’être humain est un être de culture. Le modèle familial dit naturel est loin d’être un modèle unique ; il ne se vérifie ni dans le temps ni dans l’espace. Qu’il s’agisse d’hétérosexualité ou d’homosexualité et autres formes de vie sexuelle, il n’existe pas de nature humaine séparable de la diversité et de l’évolution de son savoir et de ses cultures et du jugement moral dominant de ses pratiques.

b) La pertinence des lois du Magistère

La conséquence des considérations précédentes est qu’on ne peut pas, sauf immobilisme de la pensée et ignorance de la réalité historique de l’humanité, négliger la connaissance et la réflexion morale sur la diversité de la manière de vivre de façon humaine. Les prétentions anthropologiques du Magistère sont trop souvent bloquées dans un moralisme suranné. La rupture croissante entre la doctrine officielle et les sentiments d’une large majorité n’est pas due à l’ignorance, et encore moins à l’irresponsabilité des croyants, mais au fait que la hiérarchie soit enfermée dans les modèles du passé.

Les temps ont beaucoup changé, rapidement, pour tout ce qui a à voir avec la famille, le mariage, la procréation et la sexualité en général. Peut-on encore s’interdire de penser librement dans le domaine si complexe de l’éthique sexuelle et familiale, alors qu’en quelques décennies, tous nos repères traditionnels, même ceux venant de la médecine ou de la psychologie, ont été réinterrogés ? N’est-il pas temps de se doter de référentiels plus en phase avec les connaissances contemporaines ?

Ainsi :

– La procréation n’est pas pour nos contemporains le seul ni même le premier but du mariage. La doctrine de l’Eglise reste marquée par une politique nataliste mise en avant dans des groupes humains menacés d’extinction par la très forte mortalité infantile ou souhaitant devenir dominants par l’importance numérique de leur population.

L’encyclique « Humanae Vitae » est une erreur profonde, aux conséquences dévastatrices, que la hiérarchie catholique ne devrait plus assumer. Elle n’est pas comprise, bien peu s’y conforment parmi les catholiques eux-mêmes et peu de prêtres ou évêques osent l’exposer. Il n’y a aucun sens de continuer à distinguer entre les méthodes naturelles et artificielles, et encore moins de condamner une méthode parce qu’elle serait « artificielle » : pour la même raison, on condamnerait un vaccin.

– L’homosexualité ne peut plus être considérée comme une déviance alors qu’elle est aujourd’hui scientifiquement reconnue comme une variante de l’orientation sexuelle humaine. Elle est un fait, une modalité de la vie sexuelle qui est vécue comme une tendance personnelle dès l’enfance et l’adolescence. Cette tendance est ni plus ni moins vitale, source de vie accomplie, que l’hétérosexualité́, lorsque l’environnement social permet de l’assumer en toute conscience. Comme toute autre forme de sexualité elle est vécue moralement de façon justifiée ou condamnée en fonction d’appréciations qui varient dans le temps et selon les cultures. Appréciations et jugements que les religions renforcent au nom d’un appel à une « Loi de l’Absolu », considérée dans la culture chrétienne traditionnelle comme une « Loi éternelle de la Nature » c’est à dire « Loi de l’Eternel » lui même, la loi de Dieu créateur.

– L’indissolubilité du mariage ne peut plus s’imposer à un être humain qui se perçoit comme une construction, une œuvre à accomplir en faisant des choix non au gré du vent mais de la foi et de l’expérience de la vie. Il ne renonce pas à s’engager pour la vie, par amour et de toutes ses forces. Mais il le fait en sachant qu’il n’est pas maître absolu de tout son être. La vie commune peut révéler en cours de route, des impossibilités liées à des composantes personnelles et à l’évolution saine des personnes au long d’une vie dont la durée n’a cessé d’augmenter.

En tous ces domaines, la pastorale, confrontée à la vie concrète, a évolué, alors que la position officielle ne l’a pas fait, ce qui conduit à une forme d’hypocrisie qui n’est plus acceptée par les jeunes générations et par beaucoup de personnes qui préfèrent alors ignorer purement et simplement l’enseignement de l’Église. Ce n’est pas la proposition de résoudre la « situation matrimoniale difficile » des divorcés-remariés en facilitant la reconnaissance de nullité qui modifiera la situation : ce n’est pas respecter la vie humaine que de vouloir en effacer une partie.

II- La primauté de la personne dans l’accueil de la foi

La foi ne se transmet pas comme un héritage dont la famille serait dépositaire.

Bien que l’introduction du questionnaire mentionne des « références essentielles » dans l’Evangile qui montrent le prix accordé par Jésus à la famille, le sentiment général est que l’on ne voit pas dans l’Evangile de valorisation particulière de la famille.

D’autres paroles et actes de Jésus ont été négligés de ces références, qui paraissent pourtant plus significatifs de la nouveauté apportée par Jésus concernant la famille. Jésus ne parle pas de la famille sinon pour en subvertir le sens mondain, pour en remettre en cause les rapports de pouvoir et pour l’ouvrir à plus grande qu’elle.

La notion d’Eglise domestique n’apparait nulle part chez Jésus. La famille n’est pas en tant que telle le lieu de l’accueil de la foi (Marc 3, 32-35). Dans le même esprit, la famille n’est pas le sujet de la foi et il n’y a pas plus de « famille chrétienne » qu’il n’y a de « France catholique ». Jésus convertit les personnes. (Luc 12, 49-53 ; 14, 25-26). La foi requiert d’un saint François d’Assise de refuser l’héritage de son père et de quitter jusqu’à ses vêtements pour se présenter nu dans l’Eglise de Dieu. Jésus appelle à une nouvelle famille humaine dans laquelle il n’y a plus ni père ni mère mais seulement des frères et sœurs vivant du commandement « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés ». Les rapports de pouvoir (y compris religieux) sont récusés et le témoignage personnel préféré à la « transmission » d’un patrimoine de la foi (Mat. 23, 8-12).

La citation suivante de Jose Arregui, extraite de sa « Lettre ouverte au Pape François sur la famille », est souvent reprise :

Nous croyons que Jésus vient à notre rencontre sur tous les chemins, dans chaque situation. En tout modèle de la famille et dans toute situation de famille. Nous croyons que Jésus ne fait pas de distinction entre les familles régulières et irrégulières, mais s’adresse à toute situation, avec sa grâce et sa blessure. Nous croyons que la fermeture sur nous-mêmes (nos idées et nos normes, nos peurs et nos ombres) est la seule chose qui nous sépare des autres et de Dieu. Et nous croyons que l’humilité, la clarté et la confiance nous rapprochent chaque jour des autres et nous ouvrent chaque jour à la Présence du Vivant, qui est là où nous sommes et qui est tel que nous sommes. Et nous croyons que l’Eglise qui proclamerait cela, comme Jésus, serait une bénédiction pour l’humanité dans toutes les situations.

(http://blogs.periodistadigital.com/jose-arregi.php)

III- L’égalité femmes-hommes

L’exigence de conversion des rapports humains dans l’Eglise comme famille d’égaux rejaillit sur la conception de la cellule familiale appelée à une conversion. C’est dans ce contexte que prend sens l’unique commandement de Jésus sur le mariage (Marc 10, 2-12) qui rétablit l’égalité entre femmes et hommes : « Ainsi, ils ne sont plus deux, mais une seule chair ». Or c’est pourtant le grand point aveugle du questionnaire qui nous est adressé. Aucune question ne porte sur le sujet.

Il y aurait pourtant bien des questions à poser sur ce qu’on entend par une conversion évangélique des rapports de couple et sur la situation de l’égalité femme-homme dans les couples chrétiens. Les couples sont-ils un témoignage en ce sens ? Les y encourage-t-on dans la pastorale du mariage ou bien le discours omniprésent sur la différence des sexes y met-il un frein ? Quelles réponses sont apportées aux violences masculines ? A l’oppression et à l’exploitation des femmes et des filles dans la famille (légalement et/ou de fait) ? A la dépendance économique des femmes ? Comment explique-t-on que les femmes, gagnant en France 27 % de moins que les hommes, soient pourtant très majoritairement celles qui demandent le divorce ?